ANALYSE RÉGIONALE
Amérique latine et Caraïbes
Par Paulina Eyzaguirre
Le rapport sur la liberté religieuse en Amérique latine et dans les Caraïbes englobe des recherches menées dans 33 pays répartis dans quatre zones : Amérique du Nord, Amérique centrale, Caraïbes et Amérique du Sud. Un tiers des pays examinés (11) se trouvent en Amérique du Sud, représentant près de 66 % de la population de la région. Chaque zone est différente et les conclusions du rapport se concentrent davantage sur la situation de la région continentale ayant connu globalement des changements plus drastiques que ceux des nations insulaires.
Avec des traditions culturelles et historiques similaires et relativement homogènes centrées sur le christianisme, religion majoritaire, le respect des religions et des différentes croyances ainsi que les relations interreligieuses entre les différentes confessions ont été largement pacifiques en Amérique latine et dans la région des Caraïbes.
Normalisation de la violence contre la religion et ses représentants
Malgré la paix relative actuelle, le respect des religions dans certains contextes culturels, en particulier en Amérique du Sud, a sensiblement changé ces dernières années. Les perspectives de liberté religieuse ne sont positives que dans deux pays, l’Équateur et l’Uruguay. Les rapports sur la liberté religieuse dans le monde de 2019 et 2021 de l’ACN notaient certaines tendances telles que le vandalisme contre les églises, la profanation de sites et d’objets sacrés et les attaques contre les religieux. Cela n’était pas nécessairement lié à la religion, mais pouvait être le résultat de la criminalité de droit commun ou la conséquence des actions entreprises par les membres du clergé pour protéger leurs communautés de la violence.
Cependant, le rapport de 2023 constate un pic considérable de crimes commis par des individus ou des groupes ayant certaines opinions idéologiques intolérantes envers les croyances religieuses d’autrui. Les attaques se sont concentrées en grande partie contre les fidèles des communautés confessionnelles (catholiques et évangéliques), généralement par des groupes pro-avortement et pro-féministes ainsi que par des groupes promouvant l’idéologie du genre. Des événements graves – dans plusieurs cas des crimes – y compris des agressions contre des religieux, des actes de vandalisme, des profanations ou des atteintes au sentiment religieux, ont été signalés en Argentine, en Bolivie, au Brésil, au Chili, en Colombie, au Costa Rica, au Guatemala, en Haïti et au Mexique.
Les attitudes manifestées par certains gouvernements, qui ont semblé fermer les yeux et tolérer les attaques contre les lieux de culte et les fidèles lors de manifestations publiques, soit en n’enquêtant pas sur les auteurs des actes criminels, soit en ne les poursuivant pas correctement, sont préoccupantes. Au Chili, le Président a même gracié un homme reconnu coupable d’avoir mis le feu à la cathédrale de Puerto Montt lors d’une vague de troubles sociaux en 2019, connue en espagnol sous le nom de « estallido social » (explosion sociale).[1]
Au cours de la période faisant l’objet du présent rapport, 14 membres du clergé ont été assassinés dans sept pays : Bolivie, Haïti, Honduras, Mexique, Paraguay, Pérou et Venezuela. Dans certains cas, les victimes sont mortes en essayant d’intervenir lors de fusillades liées à des crimes de droit commun, mais dans d’autres, la présence croissante du crime organisé dans les zones rurales a fait des religieux et religieuses les seules figures faisant autorité pour contester les réseaux dangereux de trafiquants, et le dernier recours pour les personnes fuyant les criminels.
Un contexte social, économique et politique qui ne cesse de se dégrader
L’augmentation de la corruption, du crime organisé et de la violence croissante dans un contexte de graves crises sociales, économiques et politiques, a contribué à l’évolution du paysage de la liberté religieuse. Depuis qu’un rapport est rédigé sur l’Amérique latine, c’est la première fois qu’un pays de la région, le Nicaragua, est inclus dans la catégorie « persécution ». Cela est dû à la forte oppression continue de l’Église catholique par le gouvernement Ortega, dont les actions comprennent, entre autres, l’expulsion du nonce apostolique et des congrégations religieuses, la contrainte des prêtres à l’exil, la privation de statut juridique des entités et des organismes religieux, la persécution et le harcèlement des prêtres, les attaques d’églises, la détention arbitraire de chefs religieux et de fidèles, la fermeture d’une chaîne de télévision catholique, des menaces explicites et des insultes aux chefs religieux.
À Cuba et au Venezuela, où la situation reste désastreuse, les violations des droits de l’homme et la répression se poursuivent contre les dissidents et les membres du clergé. Ceux-ci font l’objet d’agressions, d’arrestations, de menaces et de diffamation en représailles pour leur soutien aux groupes d’opposition et pour avoir exprimé des opinions différentes de celles du gouvernement.
Plusieurs pays de la région sont en crise depuis des années sans qu’aucune solution ne soit en vue. Le cas le plus tragique est celui d’Haïti, qui connaît « la pire situation humanitaire et des droits de l’homme depuis des décennies », selon l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR).[2]
Alors que Cuba et le Venezuela continuent de souffrir de graves pénuries de nourriture et de médicaments, d’autres crises sociopolitiques et économiques touchent l’Argentine, la Bolivie, le Chili, l’Équateur, le Guatemala et le Pérou. En bref, près d’un tiers des pays de la région – représentant 30 % de la population du continent – sont touchés par les manifestations et les troubles civils résultant d’une crise du coût de la vie, d’une inflation galopante, de la corruption, d’un manque d’indépendance et d’impartialité judiciaires, d’une instabilité politique et de débats sur les réformes constitutionnelles.
La violence généralisée causée par les guerres de territoire, la corruption et l’extorsion impliquant des gangs, des guérilleros, des trafiquants de drogue et du crime organisé reste endémique dans toute la région, la Colombie, Haïti, le Mexique et le Venezuela étant parmi les exemples les plus extrêmes. La conjonction des violences ciblées et aveugles engendre un sentiment d’insécurité qui érode les conditions nécessaires pour que les citoyens exercent leur droit à la liberté religieuse.
En raison de l’instabilité, l’émigration est une préoccupation majeure, ce qui affaiblit encore les perspectives socio-économiques de la région, car ce sont le plus souvent les jeunes instruits qui recherchent de meilleures opportunités à l’étranger. La pression est la plus forte dans les pays limitrophes des États d’Amérique centrale frappés par la crise, et au Mexique en raison de sa frontière avec les États-Unis.
Dans de nombreux pays d’Amérique latine où l’État n’est pas en mesure de fournir des services sociaux adéquats,[3] les Églises continuent de jouer un rôle clé pour les pauvres qui restent. Il en va ainsi malgré les risques encourus par le personnel de l’Église qui fournit une aide humanitaire aux plus vulnérables dans les zones pauvres et violentes, en particulier en Colombie, à Cuba, en Haïti, au Honduras, au Nicaragua, au Panama, en République dominicaine et au Venezuela.
Nouvelles lois controversées
L’Amérique latine fonctionne comme une chambre de résonnance. Lorsqu’un problème émerge dans un pays, il trouve presque immédiatement un écho chez ses voisins et se propage à travers le continent par effet domino. Ce phénomène a non seulement été observé à l’occasion de la propagation des attaques violentes contre les personnes et les bâtiments de l’Église, mais il s’est aussi manifesté par l’introduction de nouvelles lois controversées – et leurs implications sur l’objection de conscience – concernant des questions telles que le mariage homosexuel, l’avortement, l’euthanasie et l’identité de genre, entre autres. Par exemple, les projets à l’étude au Costa Rica, au Mexique, au Paraguay et au Pérou comprennent des révisions des programmes d’éducation sexuelle en tenant compte des nouvelles idéologies de l’identité de genre. Ces révisions représentent un défi au droit des parents d’éduquer leurs enfants, expression directe de la liberté religieuse dans le domaine de l’éducation.
Enfin, les restrictions imposées après le déclenchement de la pandémie de COVID-19 ont été assouplies en 2022 et finalement levées. Ce fut une occasion mémorable pour les fidèles qui, à partir d’avril de la même année, ont participé en nombre record aux célébrations de la Semaine Sainte.
[1] “Ministerio de Justicia y Derechos Humanos – Decreto que concedió indulto particular a condenado por delito de incendio en inmueble habitado en grado frustrado, daños a bien de uso público y hurto simple en lugar de culto,” Boletín Jurídico del Observatorio de libertad religiosa de América Latina y el Caribe, Nº 4 (Year 18), January 2023, http://ojs.uc.cl/index.php/bjur/article/view/56679 (accessed 31 January 2023).
[2] “UNHCR calls on States to refrain from forced returns of Haitians,” United Nations High Commissioner for Refugees (UNHCR), 3 November 2022, https://www.unhcr.org/news/press/2022/11/6363acd64/unhcr-calls-states-refrain-forced-returns-haitians.html (accessed 2 April 2023).
[3] Wendy Fry, “Asesinan a párroco en Tecate, Baja California,” San Diego Union-Tribune, 22nd May 2022, https://www.sandiegouniontribune.com/en-espanol/noticias/bc/articulo/2022-05-22/asesinan-a-parroco-en-tijuana (accessed 2 April 2023).