Le cadre juridique de la liberté religieuse et son application effective
Le Nigeria est le pays le plus peuplé d’Afrique avec plus de 200 millions d’habitants, la plus grande économie continentale et un producteur de pétrole de premier plan. Avec un système de gouvernement démocratique parlementaire, le pays est organisé comme une république fédérale avec 36 États et un territoire de la capitale fédérale à Abuja.
La Constitution de 1999 interdit au gouvernement de la Fédération ou d’un État d’adopter une religion comme religion d’État (article 10) et propose la tolérance religieuse comme faisant partie de l’éthique nationale, dans les politiques publiques (article 23). Elle consacre les principes de non-discrimination religieuse (article 15.2), d’égalité de traitement quelle que soit la religion (article 42, alinéa 1er), et oblige les partis politiques à accepter comme membre tout citoyen nigérian sans distinction de religion (article 222.b) et à ne détenir aucun nom, symbole ou logo à connotation religieuse (article 222.e).
La Constitution garantit également le droit de toute personne à « la liberté de pensée, de conscience et de religion, à la liberté de changer de religion ou de conviction, et à la liberté (seule ou en commun, tant en public qu’en privé) de manifester et de propager sa religion ou sa conviction par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement de rites » (article 38, alinéa 1er). L’article 38, alinéa 2, dispose que nul ne peut être contraint de participer à des cours d’instruction religieuse contre son gré si l’instruction n’est pas conforme à sa foi. Cette garantie s’étend également aux cérémonies et observances religieuses. Aucune communauté ou confession religieuse ne peut être empêchée de dispenser une instruction religieuse aux élèves de cette communauté ou confession dans un lieu d’enseignement entièrement entretenu par cette communauté ou confession (article 38, alinéa 3). Les droits fondamentaux reconnus ne donnent à personne le droit de « former une société secrète, d’y participer ou d’en être membre » (article 38, alinéa 4).
Afin de promouvoir l’inclusion sociale, l’article 15, alinéa 3, points c) et d), de la Constitution impose à l’État le devoir d’encourager les mariages interreligieux et de promouvoir la création d’associations et de groupes pour les membres de différentes religions. Certains États ont adopté une législation exigeant que les prédicateurs obtiennent une licence pour prêcher (par exemple, dans les États de Kano, Borno, Niger, Katsina et Kaduna). Les Nigérians ont des niveaux particulièrement élevés d’engagement religieux, compte tenu du fait que 93% de la population déclarent que la religion est très importante dans leur vie.
Le Nigéria dispose d’un système juridique mixte comprenant le droit anglais, la common law, le droit coutumier et, dans plusieurs États, le droit islamique (charia). Conformément à l’article 275, alinéa 1er, de la Constitution nigériane, les États ont le droit de constituer une cour d’appel de la charia. Une cour d’appel de la charia pour le territoire de la capitale fédérale à Abuja est prévue à l’article 260, alinéa 1er, de la Constitution. Lorsque 12 États du nord ont officiellement introduit la loi islamique il y a plus de 20 ans, de nombreux musulmans ont réagi avec enthousiasme, tandis que les chrétiens se sont opposés à la décision. Il y a eu des émeutes qui ont coûté la vie à plusieurs milliers de personnes – chrétiennes comme musulmanes. « La plupart des musulmans du nord du Nigéria », écrit Mgr Mathew Hassan Kukah, « ont continué à faire écho aux sentiments de l’ancien califat (1804-1903), qui considère le christianisme comme une religion étrangère liée au colonialisme ».
Après plus de 20 ans d’implantation de la charia, la situation dans le nord du Nigéria s’est aggravée, car l’ethnicité et la religion sont effectivement devenues un moyen d’obtenir du pouvoir, des ressources et des privilèges. Dans la plupart des États du Nord, il existe des lois sur le blasphème à la fois dans la charia et dans le code pénal des États. L’instruction religieuse chrétienne n’a pas lieu dans les écoles publiques. Les élèves chrétiens n’ont pas accès aux bourses d’État, et les diplômés sont victimes de discrimination sur le marché du travail. Les permis de construire pour les églises sont refusés et les lieux de culte chrétiens sont illégalement détruits, sans compensation. Au contraire, dans le sud-ouest du Nigéria, où vit un pourcentage important de musulmans, aucun incident significatif de violence à motivation religieuse ne se produit et les relations interreligieuses sont généralement respectueuses.
L’imposition de peines fondées sur la charia (jusqu’à la peine de mort) est la source de châtiments et traitements cruels, inhumains et dégradants (par exemple des amputations et des passages à tabac) qui sont contraires aux obligations internationales du pays. En outre, la « hisbah » (alias police religieuse) impose des restrictions morales et sociales, par exemple la saisie et la destruction des bouteilles de bière, la fermeture des lieux de consommation de chicha, les raids dans les hôtels, l’interdiction des coupes de cheveux élégantes, l’interdiction de manger en public pendant le Ramadan (même dans les zones contrôlées par des non-musulmans), l’interruption des « rassemblements immoraux » et l’arrestation des personnes qui ne respectent pas la charia. Certaines hisbah sont des entités gérées par l’État (ainsi, dans les États de Kano, Zamfara et Sokoto), au mépris de l’interdiction explicite de l’article 214, alinéa 1er de la Constitution qui dispose que « aucune autre force de police [à l’exception de la police nigériane] ne peut être établie pour la Fédération ou une partie de celle-ci ».
Une question de longue date posée par la communauté chrétienne est de savoir pourquoi, bien qu’il s’agisse d’un État non confessionnel avec une population chrétienne de près de 50%, le Nigeria est-il depuis 1986 membre à part entière de l’Organisation de la coopération islamique (OCI), dont les objectifs sont, entre autres, la préservation des « symboles islamiques et du patrimoine commun », « la défense de l’universalité de la religion islamique » et « la revitalisation du rôle pionnier de l’islam dans le monde ». Une autre décision controversée du gouvernement fédéral sous la présidence de Muhammadu Buhari a été le renforcement des relations avec l’Iran.
La discrimination légalisée par la charia
Dans le nord à prédominance musulmane, les non-musulmans sont confrontés à une discrimination « légalisée » en raison de l’interprétation de la charia, la loi sur le blasphème leur étant appliquée. Ils sont exclus des postes gouvernementaux, il arrive que des femmes chrétiennes soient enlevées et forcées de se marier avec des hommes musulmans, aucune autorisation n’est accordée pour la construction d’églises ou de chapelles, et des codes vestimentaires tels que le hijab musulman obligatoire sont imposés à toutes les élèves dans toutes les écoles secondaires.
L’application croissante des dispositions relatives au blasphème inscrites dans le code pénal et le code de la charia du Nigéria a été considérée par la Commission américaine sur la liberté religieuse internationale (USCIRF) comme « un risque important pour la liberté religieuse des Nigérians, en particulier des minorités religieuses et de ceux qui épousent des croyances impopulaires ou dissidentes ». Un religieux islamique, le cheikh Abduljabar Nasir Kabara, a été condamné à mort pour blasphème par un tribunal de la charia à Kano, une décision qui devrait faire l’objet d’un appel. Le musicien soufi Yahaya Sharif-Aminu, condamné à mort en 2020 pour avoir publié des paroles de chansons prétendument blasphématoires sur WhatsApp, et après le rejet de son appel en août 2022, conteste la constitutionnalité de cette législation devant la Cour suprême du Nigeria.
Au-delà de la législation pénale, la vengeance sociale et la brutalité pour les propos présumés « blasphématoires » ne sont pas moins inquiétantes. Le 12 mai 2022, une jeune chrétienne de 22 ans, Deborah Samuel Yakubu, élève au Shehu Shagari College of Education dans l’État de Sokoto, a été agressée et brutalement assassinée en raison d’allégations de blasphème par d’autres élèves musulmans qui ont ensuite brûlé son corps.
En juin 2021, les évêques catholiques du Nigeria ont appelé à une révision de la Constitution nigériane de 1999, affirmant qu’elle favorisait les musulmans, désavantageant « les chrétiens et les fidèles d’autres religions », ce qui n’est pas de bon augure « pour l’unité et le progrès du pays ». Les rédacteurs de la Constitution de 1999 ont créé des tribunaux de la charia pour les musulmans. Toutefois, la diversité des systèmes et régimes juridiques a pour conséquence la situation actuelle, à savoir l’absence de loi commune à tous les citoyens nigérians.
De nombreux praticiens du droit et universitaires considèrent que la charia et les tribunaux contredisent la nature non confessionnelle de la Constitution nigériane. Malgré cela, un tribunal fédéral de Kano a décidé le 17 août 2022, pour la première fois, que « la charia est constitutionnelle ... [et] la tentative des requérants de prouver l’illégalité de la charia n’est donc pas fondée ». En outre, deux mois auparavant, le 17 juin, la Cour suprême nigériane a confirmé le droit des élèves de porter le hijab dans les écoles publiques de Lagos, annulant ainsi la restriction imposée par l’État.
Des tribunaux de la charia existent déjà dans 12 États du nord du Nigéria et il y a une pression croissante pour en créer d’autres. Par exemple, le Muslim Rights Concern (MURIC) a exprimé son soutien à l’introduction de la charia dans le sud-ouest. La communauté musulmane de l’État d’Osum, dans le sud du pays, a exigé que le gouverneur de l’État reconnaisse les tribunaux de la charia comme faisant partie du système judiciaire de l’État (en fait, le président de la communauté a révélé qu’ils avaient déjà mis en place un tribunal de la charia). En outre, le Conseil national des organisations de jeunesse musulmanes a appelé à la création d’une cour d’appel de la charia dans l’État de Lagos et a demandé la création obligatoire de tribunaux de la charia pour tout État nigérian qui compte au moins 100 musulmans vivant en son sein, en modifiant l’article 275, alinéa 1er, de la Constitution. Ratissant plus largement, l’Association des avocats musulmans du Nigeria (MULAN) a exigé la création de tribunaux de la charia dans tout le sud du pays, alors qu’il est à majorité chrétienne, pour répondre aux intérêts de la population musulmane locale.
Violence et attentats terroristes
Le Nigéria est classé numéro 6 (sur 163 pays) dans l’indice mondial du terrorisme (GTI). En plus des hostilités du groupe Indigenous People of Biafra (IPOB), la nation est déchirée par le banditisme et la violence des gangs mafieux, les combats entre factions islamistes telles que, entre autres, les chiites, Izala, Boko Haram et la Province d’Afrique de l’Ouest de l’État islamique (ISWAP), ainsi que les attaques terroristes à motivation religieuse contre (principalement) des chrétiens, (mais aussi) des musulmans et des membres de religions traditionnelles. En 2016, Boko Haram, un groupe salafiste-djihadiste qui se bat pour l’imposition d’un califat à travers le Nigeria et d’une version stricte de la charia, s’est scindé en deux factions : Jama’atu Ahlis Sunna Lidda’adati wal-Jihad (JAS) et ISWAP. Une troisième faction (Ansaru al-Musulmina fi Bilad al-Sudan, ou Ansaru), a accru son activité, opérant principalement dans la région du nord-ouest et du centre du Nigeria. Une grande partie des attaques de Boko Haram et de l’ISWAP se produisent dans les États de Borno, Yobe et Adamawa dans le nord-est et, dans une moindre mesure, dans d’autres États tels que Gombe, Kano, Kaduna, Plateau, Bauchi et Taraba. L’interprétation de la charia par l’ISWAP conduit à des châtiments cruels tels que l’amputation des mains des voleurs présumés, le meurtre des personnes adultères ou des civils qui refusent de payer des impôts ou désobéissent aux ordres. Le groupe cible en particulier la minorité chrétienne dans le nord-est du Nigeria, probablement en partie pour démontrer sa loyauté envers l’Etat Islamique. Un rapport publié par le PNUD (Programme des Nations unies pour le développement) au Nigeria en juin 2021 estimait qu’à la fin de 2020, le conflit dans le nord-est avait fait près de 350 000 morts, dont 314 000 de causes indirectes. Les différences religieuses sont considérées par 52% des populations du nord-est nigérian et 49% du nord-ouest comme des motifs de conflit.
Dans certaines régions, comme dans l’État de Kaduna, les terroristes ont infiltré et dominé les communautés et formé « une autorité gouvernementale parallèle », exerçant un contrôle sur les activités sociales et économiques et l’administration de la justice. Les efforts du gouvernement fédéral pour les éradiquer, eux et leurs activités, ont été considérés par certains comme un « exercice futile ». En outre, une répartition partiale et injuste des ressources par le gouvernement fédéral, qui discrimine les chrétiens, a été dénoncée par l’archevêque catholique d’Abuja, Mgr Ignatius Ayau Kaigama, comme une « persécution subtile ».
Alors que les musulmans sont également victimes de violences dans le pays, les chrétiens sont ciblés de manière disproportionnée. Le rapport sur la violence au Nigeria (2019-2022) publié par l’Observatoire de la liberté religieuse en Afrique a montré que le ratio global de chrétiens / musulmans tués était de 7,6/1. Selon l’Armed Conflict Location & Event Data Project (ACLED - Projet de données sur les lieux et les événements des conflits armés), les attaques contre la communauté chrétienne ont augmenté dans un contexte d’augmentation plus large des violences contre les civils dans tout le pays : le ciblage total des civils a augmenté de 28% entre 2020 et 2021, et cette tendance s’est poursuivie en 2022. Les chiffres globaux sont horribles. Un rapport publié en août 2021 par l’ONG nigériane Intersociety a révélé 43 000 chrétiens tués par des djihadistes nigérians en 12 ans, 18 500 personnes définitivement disparues, 17 500 églises attaquées, 2 000 écoles chrétiennes détruites, 10 millions de personnes déracinées dans le Nord, six millions de personnes forcées de fuir et quatre millions de personnes déplacées. En juin 2022, la moyenne mensuelle des événements violents ciblant les chrétiens a augmenté de 50% par rapport à 2020 dans les régions du nord-ouest et du centre-nord. Le « Projet de documentation sur les atrocités nigérianes » du Centre Kukah d’Abuja a enregistré près de 200 attaques contre des communautés chrétiennes dans le nord du Nigéria au cours d’une période de huit mois en 2022, au cours de laquelle des centaines de chrétiens ont été tués et des milliers déplacés, avec peu d’intervention de la police ou de l’armée.
Les chefs religieux ont souvent été particulièrement visés. Depuis 2012, 39 prêtres catholiques ont été tués et 30 enlevés en plus des 17 catéchistes assassinés. En mai 2022, l’État Islamique a publié une vidéo montrant l’exécution de 20 chrétiens nigérians « pour venger le meurtre des dirigeants du groupe au Proche-Orient » plus tôt en 2022. Le même mois, des terroristes de l’ISWAP ont attaqué Rann (État de Borno), tuant au moins 45 agriculteurs dans leur ferme pendant la moisson.
L’une des attaques terroristes les plus sanglantes de ces dernières années a toutefois été commise le 5 juin 2022 par des hommes armés non identifiés qui ont ouvert le feu sur l’église catholique Saint-François de la ville d’Owo, dans le sud-ouest du Nigeria, le dimanche de la Pentecôte, faisant plus de 50 morts, dont des femmes et des enfants.
Le 31 juillet 2022, des terroristes peuls ont tué huit chrétiens dans l’État de Plateau. En septembre 2022, des bergers peuls extrémistes ont enlevé plus de 45 personnes à Kasuwan Magani, dans la Zone de gouvernement local de Kajuru, dans le sud de Kaduna, prenant d’assaut l’église des chérubins et des séraphins lors d’une veillée nocturne, et réclamant une rançon de 200 millions de nairas (environ 230 000 euros). Le 19 octobre 2022, des bergers peuls armés présumés ont tué 36 villageois après le siège de la ville de Gbeji, dans l’État de Benue. Le 23 novembre 2022, des milices de bergers peuls ont envahi une communauté à Enugu, tuant 10 personnes, en blessant de nombreux autres et rasant leurs maisons. Lors d’une autre attaque barbare en décembre 2022, au moins 46 villageois ont été tués dans le nord de l’État de Kaduna lors de deux attaques distinctes qui auraient été perpétrées par un groupe de milices de bergers peuls. Pas moins de 100 maisons ont été rasées, et certaines victimes brûlées vives. Les chefs locaux de l’Église affirment que bien que les attaques de villages chrétiens et d’églises ainsi que de prêtres, religieuses, pasteurs, séminaristes et de fidèles soient rapportées presque tous les jours dans les médias nationaux nigérians, beaucoup de ces atrocités ne sont pas signalées dans le reste du monde et n’ont aucune répercussion internationale. Mgr Wilfred Anagbe, évêque catholique de Makurdi, dans l’État de Benue, parle d’un « génocide rampant » contre les chrétiens, dans le but « d’islamiser toutes les régions à majorité chrétienne ».
Les conflits en cours ont été et restent fréquents dans la ceinture centrale du Nigéria entre les éleveurs nomades peuls principalement musulmans et les agriculteurs, principalement chrétiens, qui appartiennent à d’autres ethnies. Les causes profonde de la violence sont complexes, mais il s’agit principalement d’une lutte pour les ressources (terre et eau), avec des composantes ethniques, politiques et religieuses.
Ce mélange toxique est le terreau des terroristes peuls – une infime minorité parmi les 12 à 16 millions de personnes ethniquement peules au Nigeria – qui ont déclaré leur attachement à une idéologie islamiste et ont été recrutés par des groupes criminels djihadistes nationaux et transnationaux. Selon les recherches de la Fondation Aid to the Church in Need (Aide à l’Église en Détresse), de nombreux terroristes peuls semblent originaires des pays voisins. Sous prétexte de concurrence pour les ressources, les extrémistes islamistes peuls tuent, brûlent et mutilent les Nigérians selon des critères ethniques et religieux, en ciblant les églises, les chefs religieux et les célébrations, ainsi que les musulmans qui n’acceptent pas le programme fondamentaliste. On estime que 13 000 à 19 000 meurtres commis par des terroristes peuls ont eu lieu depuis 2009, et d’innombrables autres victimes ont subi des blessures qui ont changé leur vie.
L’Observatoire de la liberté religieuse en Afrique (ORFA) note : « La majorité des attaques avec le plus grand nombre de meurtres ont lieu pendant la saison agricole nigériane. Les enlèvements se répartissent plus équitablement sur l’année. Les attaques pendant la saison agricole ont un impact plus important sur la vie des victimes que les attaques à un autre moment. Ce fait renforce le soupçon que les assaillants visent à tuer ou à affamer leurs victimes, en particulier les chrétiens du nord du Nigeria. Certains appellent cela un génocide par attrition ».
Au mépris des preuves factuelles rapportées, certains minimisent encore la nature islamiste des attaques terroristes peules. C’est ainsi qu’après le massacre du 5 juin 2022 à l’église catholique St. Francis Xavier à Owo, le Président irlandais Michael D. Higgins a fait une déclaration dans laquelle il condamnait l’attaque en liant ces atrocités aux « conséquences du changement climatique » pour les peuples d’éleveurs. Mgr Jude Ayodeji Arogundade, évêque d’Ondo, a répondu quelques jours plus tard à la déclaration du Président en disant que « ses explications pour ce massacre horrible sont incorrectes et tirées par les cheveux ».
En négligeant la dimension religieuse, ces récits brouillent la distinction entre victimes et auteurs, transmutent le caractère criminel des attentats et neutralisent toute solution possible en faisant un mauvais diagnostique. Comme l’a fait valoir la baronne Cox, coprésidente du Groupe parlementaire multipartite du Royaume-Uni pour la liberté internationale de religion ou de conviction : « Bien que les causes sous-jacentes de la violence soient complexes, l’asymétrie et l’escalade des attaques des milices peules bien armées contre ces communautés à prédominance chrétienne sont frappantes et doivent être reconnues. De telles atrocités ne peuvent pas être attribuées uniquement à la désertification, au changement climatique ou à la concurrence pour les ressources, comme l’a prétendu le gouvernement [britannique] ».
En réponse à la violence croissante, plusieurs gouvernements d’États du Nigeria ont adopté des lois anti-pâturage ouvert – initialement promulguées en 2016 dans les quatre États de la ceinture centrale d’Ekiti, Edo, Benue et Taraba – pour limiter les conflits potentiels entre les éleveurs et les agriculteurs. Cependant, l’inaction du gouvernement fédéral dirigé par le Président Muhammadu Buhari, lui-même musulman peul – comme de nombreux responsables gouvernementaux – est de plus en plus perçue par une grande partie de la population nigériane comme un soutien tacite aux objectifs peuls. L’armée nigériane a également été accusée de collaborer avec des terroristes peuls pour ce qui est des enlèvements contre rançon. Le gouvernement qui a libéré les terroristes de Boko Haram en 2022 a révélé son intention de libérer des centaines de terroristes « repentants », créant une alerte sociale et des troubles. Selon une enquête de Reuters, depuis au moins 2013, l’armée nigériane « mène un programme d’avortement secret, systématique et illégal dans le nord-est du pays, et a mis fin à au moins 10 000 grossesses chez les femmes et les filles (...) dont beaucoup avaient été enlevées et violées par des militants islamistes ».
Le 11 décembre 2020, le procureur de la Cour pénale internationale a conclu qu’il y avait raisonnablement lieu de croire que des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité avaient été commis par Boko Haram et les forces de sécurité nigérianes. À ce jour, cependant, aucune enquête n’a été ouverte concernant les actions criminelles généralisées et systématiques perpétrées par les groupes djihadistes peuls contre les communautés chrétiennes dans le pays, malgré plusieurs rapports fiables de médias et de la société civile documentant les meurtres systématiques, les viols, les enlèvements, les attaques contre les sites et chefs religieux, ainsi que la destruction des moyens de subsistance et l’occupation des terres, contre ces communautés. En raison de la violence généralisée, de nombreux Nigérians, parmi lesquels des chrétiens, ont dû fuir au fil des ans, soit en tant que personnes déplacées, soit en tant que réfugiés. Selon des rapports du HCR, il y a 2 197 824 déplacés internes dans le nord-est du Nigéria (principalement dans les Etats de Borno, Adamawa et Yobe) et 969 757 dans les régions du Nord-Ouest et du Centre-Nord. En outre, 339 669 Nigérians ont demandé l’asile au Cameroun, au Tchad et au Niger.
Le secrétaire d’État américain Antony Blinken a annoncé le 17 novembre 2021 que le Nigeria serait retiré de la liste des pays particulièrement préoccupants (PPP) en matière de liberté religieuse, après avoir été ajouté à cette liste par le secrétaire d’État de l’époque, Mike Pompeo, en décembre 2020. La décision a été considérée comme « inexplicable » par l’USCIRF, qui a accusé le Département d’État américain de n’avoir aucune raison de retirer de cette liste le Nigeria « en tant que violateur flagrant de la liberté religieuse, qui répond clairement aux normes juridiques pour la désignation en tant que PPP ». Sam Brownback, l’ancien ambassadeur américain pour la liberté religieuse, a qualifié le retrait du Nigeria de la liste des PPP de « coup sérieux porté à la liberté religieuse au Nigeria et dans toute la région ». La décision de retirer le Nigeria de la liste des PPP, affaiblissant la crédibilité de l’administration américaine aux yeux des dirigeants chrétiens du Nigeria, a été publiée juste un jour avant la visite de Blinken au Nigeria.
Prochaines élections
Le 25 février 2023, les Nigérians ont élu un nouveau Président et un nouveau vice-président, ainsi que les membres de la Chambre fédérale des représentants et du Sénat. Un candidat à la présidence, Bola Tinubu, du parti sortant All Progressives Congress (APC), a choisi un sénateur musulman comme vice-président, présentant ainsi un ticket musulman-musulman. Les communautés chrétiennes nigérianes ont exprimé leur crainte que la rupture de la pratique consolidée lors des élections présidentielles consistant à avoir un ticket musulman-chrétien n’aggrave les tensions sociales et n’alimente les attaques terroristes islamistes contre les chrétiens, dont beaucoup seront forcés de fuir le pays.
Après près de huit ans au pouvoir, le Président sortant du Nigeria, Muhammadu Buhari, quittera ses fonctions, laissant une situation de chaos et de troubles généraux, en raison de l’insécurité meurtrière, de l’augmentation du coût de la vie et des pénuries alimentaires. Le futur président devra faire face à une situation désastreuse sur plusieurs fronts dans le domaine de la sécurité : le djihadisme de Boko Haram et de l’ISWAP, le terrorisme islamiste peul, le banditisme, une insurrection séparatiste et des « milices pétrolières ». Surmonter les divisions religieuses, ethniques et régionales dans le pays sera également un défi majeur pour le nouveau président nigérian. En outre, le Nigéria souffre probablement des pires conditions financières et économiques depuis le retour à la démocratie en 1999, avec des revenus en baisse et une dette insoutenable. Un rapport de l’Africa Polling Institute révèle qu’entre 2019 et 2021, il y a eu une augmentation de 41% (passant de 32% à 73%) de la proportion de citoyens prêts à saisir toute occasion d’émigrer du Nigeria avec leur famille.
Perspectives pour la liberté religieuse
La liberté religieuse au Nigeria est gravement menacée, principalement en raison des mesures juridiques qui soutiennent la discrimination contre les chrétiens dans les États du nord, ainsi que des atrocités graves et implacables commises dans tout le pays. Les victimes sont majoritairement chrétiennes, mais il s’agit aussi de musulmans, de fidèles des religions traditionnelles, chefs religieux ou simples fidèles qui souffrent de la violence des terroristes – djihadistes nationaux et internationaux et groupes armés criminels.
Le discours dominant – souvent limité au « changement climatique et aux tensions intercommunautaires » – nie la réalité et les véritables moteurs de la violence sur le terrain, en particulier le ciblage spécifique des chrétiens, rendant les victimes de ce groupe religieux démunies et politiquement invisibles. Et ces victimes ne sont pas aidées par le gouvernement fédéral qui a toujours refusé d’employer le terme de « terroriste » pour reconnaître la nature horrible des actes commis ainsi que les auteurs des faits, malgré les appels répétés des organisations nationales et internationales de la société civile, des universitaires, des représentants politiques et des chefs religieux. Les perspectives de liberté religieuse au Nigeria restent sombres.