Le cadre juridique de la liberté religieuse et son application effective
Le Pakistan a été fondé en tant qu’État laïc au moment de la partition de l’Inde en 1947. Ce n’est que progressivement qu’un caractère musulman plus militant a été imposé au pays sous la dictature du général Muhammad Zia ul-Haq (1977-1988), donnant au droit islamique un rôle plus important dans le système juridique pakistanais.
La population est presque entièrement composée de musulmans, principalement des sunnites (85-90%), dont 90% suivent l’école hanafite. Les chiites ne représentent que 10 à 15% de la population.
Les minorités religieuses comprennent les chrétiens, les hindous et les ahmadis. Quelque 33 000 Pakistanais sont bahaïs, 6 146 sikhs et il y a plus de 4 000 zoroastriens (parsis). Il y a aussi quelque 200 juifs dispersés dans tout le pays, peut-être sur le point de disparaître.
Les principaux groupes ethniques sont le Pendjabis (44,7%), les Pachtounes (Pathan) (15,4%), les Sindhis (14,1%), les Saraikis (8,4%), les Muhajirs (7,6%), les Baloutches (3,6%), et autres (6,3%).
Le Pakistan a signé la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques en 2010. Il est donc tenu, en vertu de l’article 18, de sauvegarder la liberté de pensée, de conscience et de religion de sa population.
Bien que l’article 2 de la Constitution pakistanaise de 1973 (amendée à plusieurs reprises, pour la dernière fois en 2018) dispose que « l’islam est religion d’État du Pakistan », le même texte prétend garantir des droits aux minorités religieuses. Le préambule note que « des dispositions adéquates doivent être prises pour que les minorités professent et pratiquent librement leurs religions et développent leurs propres cultures ». Les deux alinéas de l’article 20 reconnaissent que « tout citoyen a le droit de professer, de pratiquer et de propager sa religion » et que toute confession religieuse « a le droit d’établir, de maintenir et de gérer ses institutions religieuses ».
L’article 21 dispose que « nul ne peut être contraint de payer un impôt spécial dont les recettes seront dépensées pour la propagation ou l’entretien d’une religion autre que la sienne ». L’article 22 réglemente « les garanties relatives aux établissements d’enseignement en ce qui concerne la religion », ajoutant que « aucune personne qui fréquente un établissement d’enseignement ne doit être tenue de recevoir des cours d’instruction religieuse ». Il précise également : « aucune communauté ou confession religieuse ne peut être empêchée de fournir des cours d’instruction religieuse aux élèves de cette communauté ».
Cependant, cet article ne semble pas avoir été pleinement appliqué, en particulier après que le gouvernement du Premier ministre Imran Khan a introduit le programme national unique (PNU) pour les écoles primaires et les collèges en 2021. Le PNU a suscité de vives critiques de la part d’experts en éducation et de défenseurs des droits humains pour son manque d’inclusivité, pour l’importance excessive qu’il accorde au contenu religieux islamique au détriment des minorités religieuses, et pour sa mauvaise pédagogie. Plus généralement, les programmes scolaires et les manuels scolaires encouragent l’intolérance à l’égard des minorités.
La Commission des droits de l’homme du Pakistan s’est dite préoccupée par le fait que le gouvernement perpétuait une vision singulière de la religion dans les établissements d’enseignement par l’intermédiaire du PNU, privant les jeunes élèves du droit à une éducation laïque. En outre, les élèves appartenant à des minorités religieuses sont empêchés d’étudier leur propre religion, car aucun manuel d’instruction religieuse requis n’était prêt en 2021.
La situation à cet égard est encore plus critique au Pendjab. En novembre 2021, la Haute Cour de Lahore a statué que les juges de district devaient mener des inspections concernant l’enseignement du Coran dans les écoles de la province.
L’article 41 est une autre disposition discriminatoire de la Constitution pakistanaise. Il dispose qu’une « personne ne peut être éligible à la présidence que si elle est musulmane ». En outre, l’article 91, alinéa 3, dispose également que le Premier ministre doit être musulman. Conformément à l’article 203-E, la Cour islamique fédérale a le pouvoir d’invalider toute loi contraire à l’islam ou de suggérer des amendements en conséquence.
L’article 260, alinéa 3, de la Constitution établit une distinction entre musulmans et non-musulmans, ce qui contribue aux attitudes discriminatoires fondées sur la religion. Il dispose également que la communauté ahmadie est une minorité non musulmane.
Les lois dites sur le blasphème − ajoutées par le général Zia-ul-Haq entre 1982 et 1986 au Code pénal pakistanais, à savoir les articles 295-B, 295-C, 298-A, 298-B, 298-C) − restreignent sévèrement la liberté de religion. La profanation du Coran et l’insulte au prophète Mahomet sont passibles respectivement de peines pouvant aller, au maximum, jusqu’à l’emprisonnement à vie et la mort. Qui plus est, la notion de « blasphématoire » est assez large et fait souvent l’objet d’abus, avec divers types de comportement punis, y compris l’irrévérence envers les personnes, les objets de culte, les coutumes et les croyances.
Alors que la protection générale contre toute forme d’offense et de diffamation à l’égard de toutes les religions est officiellement reconnue, les articles 295-A, 295-B et 295-C et les articles 298-B et 298-C se réfèrent exclusivement à des comportements considérés comme blasphématoires à l’encontre de la religion islamique. Étant donné que le système juridique pakistanais est fondé non seulement sur la common law mais aussi sur la charia, les règles en question ne sont appliquées qu’en faveur de l’islam.
Au total, seuls six cas de blasphème ont été enregistrés entre 1947, date à laquelle le Pakistan est devenu indépendant, et 1986, date à laquelle la dernière « loi sur le blasphème » a été adoptée. En comparaison, 1 949 cas ont été signalés après l’inclusion des articles 298-B et 298-C dans le Code pénal, selon le Centre pour la justice sociale (CSJ), basé à Lahore.
En outre, selon le CSJ, les lois sur le blasphème affectent de manière disproportionnée les minorités religieuses. Le plus grand nombre de cas (47,62%) concerne les musulmans, suivis par les ahmadis (32,99%), les chrétiens (14,42%), les hindous (2,15%), tandis que dans 2,82% des cas, la religion n’a pas pu être confirmée. Cela signifie que plus de 49% des cas de blasphème touchent des minorités, alors qu’elles ne représentent que 3,5% de la population pakistanaise.
Les minorités sont également surreprésentées dans les meurtres liés au blasphème et à d’autres formes de violence. Il s’agit notamment du cas du lynchage de Priyanka Kumara à Sialkot en 2021. Depuis 1987, au moins 84 personnes ont été tuées de manière extrajudiciaire à la suite d’allégations de blasphème. Parmi elles, il y avait 42 musulmans, 23 chrétiens, 14 ahmadis, deux hindous, un bouddhiste et deux personnes était de religion inconnue.
Les articles 298-B et 298-C du Code pénal pakistanais constituent d’autres modifications apportées par le Général Zia-ul-Haq. Ces dispositions ont érigé en infraction pénale le fait pour les ahmadis de se dire musulmans, d’employer des noms et des appellations associés au prophète, d’utiliser des pratiques musulmanes dans le culte et de propager leur foi. Selon le site Web The Persecution of Ahmadis, de 1984 à 2019, 262 ahmadis ont été tués en raison de leur foi, 388 ont subi des violence et 29 mosquées ahmadies ont été détruites. Entre juillet 2020 et septembre 2021, sept ahmadis ont été assassinés, dont Tahir Naseem, 57 ans. Citoyen américain accusé de blasphème, il a été abattu dans une salle d’audience pakistanaise alors qu’il attendait son procès. Au moins sept autres personnes ont été blessées dans ce qui semblait être des tentatives d’assassinat.
En mai 2020, le ministère des Affaires religieuses et de l’Harmonie interreligieuse a annoncé qu’il avait rétabli la Commission nationale pour les minorités. L’une de ses responsabilités est de veiller à ce que les lieux de culte non musulmans soient maintenus et pleinement opérationnels. En juin 2014, à la suite de l’attaque de l’église All Saints à Peshawar l’année précédente, la Cour suprême du Pakistan a chargé le gouvernement fédéral pakistanais de mettre en place une commission nationale pour les minorités. Les minorités religieuses n’avaient plus d’organisation pour les représenter au niveau fédéral depuis l’assassinat en 2011 de Shahbaz Bhatti, le premier et jusque-là le seul ministre fédéral des minorités. Cependant, la commission n’a pas été créée par une loi du Parlement, mais par un cabinet fédéral, et ne jouit donc pas d’une autorité constitutionnelle.
En outre, un projet de loi sur la protection des droits des minorités, rejeté par le Sénat en septembre 2020, n’a pas été remis à l’ordre du jour du parlement. Le sénateur Hafiz Abdul Karim, membre du Comité permanent des affaires religieuses et de l’harmonie interconfessionnelle, faisait partie de ceux qui s’opposaient au projet de loi. Selon lui, un projet de loi pour la protection des droits des musulmans devrait être présenté à la place, car « les minorités au Pakistan ont déjà obtenu plusieurs droits ».
Comme par le passé, au cours de la période faisant l’objet du présent rapport, l’Assemblée provinciale du Pendjab a adopté à l’unanimité plusieurs résolutions régressives en faveur d’une législation conservatrice. En 2021, elle a approuvé une résolution exigeant que les bureaux du gouvernement provincial affichent des versets coraniques et des hadiths. Elle a également adopté une résolution sur l’inclusion d’un serment faisant référence à la notion de prophétie finale (khatm-i-nabuwat) dans les documents de mariage (nikah) en octobre. La résolution suggérait que le certificat khatm-i-nabuwat soit obligatoire pour la mariée, le marié, leurs témoins et les responsables du mariage (nikahkhwan).
Comme indiqué dans la section sur les incidents, les enlèvements, les conversions forcées et les mariages forcés continuent d’affliger les minorités. Cela est également dû à l’absence de protection juridique. Le 13 octobre 2021, une commission parlementaire a rejeté un projet de loi « contre la conversion forcée », suite à l’opposition du ministère des Affaires religieuses. Les législateurs des communautés minoritaires ont critiqué ce vote négatif. Selon le projet de loi, tout adulte non musulman souhaitant se convertir à une autre religion doit demander un certificat de conversion auprès d’un juge de session supplémentaire. Le projet de loi n’autoriserait par ailleurs la conversion qu’après l’âge de 18 ans. Le ministre des Affaires religieuses de l’époque, Noor-ul-Haq Qadri, a déclaré que le ministère ne soutenait pas le fait que la conversion religieuse ne puisse se faire avant 18 ans, affirmant que les jeunes devraient avoir le droit de choisir leur religion.
Le Pakistan se classe au 6ème rang mondial en termes de mariage infantile (filles mariées avant l’âge de 18 ans). Près de 71% des filles n’ont pas leur mot à dire en ce qui concerne la date de leur mariage et le choix de leur conjoint. Telles sont les principales conclusions de la note d’orientation sur le cadre juridique du mariage des enfants au Pakistan, ainsi que celles publiées en octobre 2022, dans l’enquête de la Commission nationale des droits de l’enfant (NCRC), menée en collaboration avec UNICEF Pakistan.
En raison de l’absence de législation pertinente et de la mauvaise application des lois existantes, le nombre de jeunes femmes et filles hindoues et chrétiennes enlevées, forcées à des conversions fictives à l’islam puis mariées à des hommes musulmans, continue d’augmenter.
Le Sindh est l’une des provinces comptant le plus grand nombre de cas, et c’est la seule province dotée d’une loi qui empêche le mariage des mineurs, à savoir la loi de 2013 sur les restrictions au mariage des enfants du Sindh. Grâce à cette loi, entrée en vigueur en 2020, il a été possible de rendre certaines filles enlevées à leurs familles. Cette loi a cependant encore quelques défauts. Par exemple, elle n’a pas le pouvoir d’annuler les mariages islamiques même si le statut de mineur de la mariée a été établi. En outre, il est fréquent que les filles ne soient pas autorisées à retourner ensuite à la foi chrétienne, comme ce fut le cas pour Arzoo Raja, 14 ans, maintenant Arzoo Fatima, qui, après être finalement rentrée chez ses parents, a été forcée par le tribunal de se présenter au poste de police tous les trois mois pour prouver qu’elle n’était pas sous pression pour revenir à la foi chrétienne.
La Commission nationale pour la justice et la paix au Pakistan est en train d’élaborer un programme visant à protéger les filles et les jeunes femmes des communautés minoritaires du Pakistan. Les recommandations comprennent la réforme et la formation de la police, la mise en place de lignes d’assistance téléphonique, la révision du projet de loi contre la conversion forcée qui avait été rejeté par une commission parlementaire en 2021, et l’ajout de la « conversion forcée » au cadre juridique national pour faciliter la législation.
Incidents et développements
Au cours de la période faisant l’objet du présent rapport, le Pakistan a été marqué par une profonde crise économique et politique qui a contribué au limogeage d’Imran Khan le 10 avril 2022. Imran Khan, en poste depuis le 18 août 2018, est devenu le premier Premier ministre pakistanais à être démis de ses fonctions par un vote de défiance parlementaire.
Certaines minorités, en particulier des chrétiens guidés par des avocats, ont commencé à organiser des associations pour la défense de leurs droits, comme l’Alliance des minorités du Pakistan d’Akmal Bhatti, qui organise des rassemblements et des recours devant les tribunaux et les assemblées législatives locales, pour obtenir un accès égal à la justice.
Bien qu’Imran Khan ait promis un nouveau Pakistan (Naya Pakistan) dans son manifeste électoral, dans lequel les « droits civils, sociaux et religieux des minorités » sont garantis, les minorités religieuses ont continué d’être fortement discriminées. La preuve en est que dans les offres d’emploi publiques pour les éboueurs, les balayeurs de rue et les nettoyeurs d’égouts, il était indiquée, « réservé aux non-musulmans ».
La discrimination à l’égard des minorités prend diverses formes. Par exemple, les « plans anti-empiètement » mis en œuvre pour réduire les risques d’inondation avaient tendance à ne pas tenir compte des communautés chrétiennes et hindoues qui, après avoir perdu leurs maisons, se plaignaient de retards ou de négligence dans l’obtention d’une indemnisation gouvernementale.
Un autre problème qui a affligé les minorités au cours de la période faisant l’objet du présent rapport a été la forte présence de groupes terroristes islamistes. Le Pakistan est resté dans le top dix des pays les plus touchés par le terrorisme, selon l’Indice mondial du terrorisme (GTI), passant de la huitième à la dixième place en 2020, mais avec une légère augmentation (5%) des décès liés au terrorisme.
Lorsque les talibans ont pris le pouvoir en Afghanistan en août 2021, les activités terroristes ont repris au Pakistan, où l’État islamique-province du Khorasan (EI-PK) a gagné du terrain. Le noyau initial de l’EI-PK en Afghanistan comprenait de nombreux anciens militants talibans pakistanais mécontents de leur leadership. L’EI-PK est responsable de l’attaque de mars 2022 contre une mosquée chiite à Peshawar, qui a coûté la vie à plus de 60 personnes.
Pour la communauté chiite du Pakistan, l’attentat-suicide du 4 mars 2022 était le dernier d’une série d’attaques contre leur communauté depuis que les talibans ont pris le contrôle de l’Afghanistan en 2021 avec le soutien du gouvernement pakistanais.
La violence anti-chiite a augmenté depuis le début de la vague d’islamisation du pays dans les années 1980, la situation s’aggravant ces dernières années. Un incident survenu au cours de la période faisant l’objet du présent rapport s’est produit le 18 septembre 2022, lorsque des militants islamistes radicaux ont attaqué une procession chiite dans la province du Pendjab, blessant au moins 13 personnes. Selon un officier supérieur de police, des tensions sont apparues dans la région entre le Tehreek-i-Labbaik Pakistan (TLP) et les militants chiites au sujet du parcours de la procession, car les dirigeants locaux du TLP ne voulaient pas que le cortège chiite passe devant leur mosquée et leur collège.
Selon le Centre pour la justice sociale, les personnes qui sont le plus souvent accusées de blasphème sont chiites, 140 sur 208, soit 70%, en 2020.
Le 13 juillet 2021, des experts de l’ONU ont exprimé leur profonde préoccupation face au manque d’intérêt pour les violations des droits de l’homme perpétrées contre la communauté ahmadie dans le monde, y compris au Pakistan. Les musulmans ahmadis pakistanais continuent de faire face à de sévères persécutions officielles et sociétales.
En 2021, au moins trois ahmadis ont été tués dans des attaques ciblées distinctes. Le 11 février 2021, un médecin homéopathe ahmadi, Abdul Qadir, 65 ans, a été abattu dans sa clinique de Peshawar. Le 9 novembre 2021, Kamran Ahmad, 40 ans, a été abattu par un inconnu à Peshawar. Le 20 novembre 2021, Tahir Ahmed, 31 ans, a été abattu après la prière du vendredi au Pendjab. En août 2022, Abdul Salam, 33 ans, père de trois enfants, rentrait chez lui lorsqu’un lycéen, Hafiz Ali Raza, alias Mulazim Husain, l’a attaqué avec un couteau.
La communauté ahmadie a signalé à la police 49 incidents à motivation religieuse, ainsi que la profanation de 121 tombes ahmadies et de 15 lieux de culte par des foules.
Les attaques contre les lieux de culte hindous sont également monnaie courante. Dans la soirée du 8 juin 2022, cinq hommes à moto sont entrés dans le temple hindou de Korangi à Karachi, ont brisé des bols d’offrandes, ont jeté des pierres sur une idole et ont menacé deux employés du temple.
Le 4 août 2021, l’attaque du temple de Ganesh à Bhong, un village du Pendjab, a été encore pire. Le temple a été gravement endommagé par une foule d’environ 250 personnes après qu’un garçon hindou accusé d’avoir profané une madrassa locale eut été libéré sous caution. Non seulement le temple a été vandalisé, mais la plupart des familles hindoues du village ont été forcées de fuir leurs maisons.
Les accusations de blasphème sont souvent la cause d’attaques contre les minorités avant même que la police ne puisse intervenir. Cela s’est produit à Lahore le 7 août 2021 après qu’un séminaire de jeunes organisé à l’église NCP eut été jugé sacrilège. Des centaines de familles chrétiennes ont fui leurs maisons après avoir remarqué qu’une foule de musulmans marchait vers leur église en criant des slogans anti-chrétiens. Une intervention opportune de la police a sauvé l’église et évité une probable attaque contre les maisons des fidèles.
Le 9 novembre 2021, Yasmeen Bibi, 55 ans, et son fils Usman Masih, 25 ans, ont été tués par leur voisin musulman Hassan Shakoor Butt. Cela faisait suite à une querelle de longue date concernant les eaux usées de la maison de ces chrétiens, car elles passaient près d’un sanctuaire musulman. En les tuant, les meurtriers les ont appelés kaffir (un mot arabe péjoratif pour désigner les infidèles) et ont crié Chura (un terme péjoratif signifiant sales chrétiens, appliqué aux Dalits ou aux intouchables dans le système de castes de l’Asie du Sud).
Le 30 janvier 2022, le Père William Siraj a été tué à Peshawar, après avoir quitté l’église Shaheedain (martyrs) All Saints après la prière du dimanche.
Deux incidents différents ont impliqué des infirmières chrétiennes, qui représentent 60 à 70% du personnel infirmier du Pakistan. Le 30 janvier 2021, Tabitha Nazir Gill, chanteuse chrétienne évangélique de renom, qui travaillait comme infirmière à Karachi, a été accusée de blasphème par ses collègues. Elle a été frappée et torturée par le personnel et les personnes en visite à l’hôpital, jusqu’à ce que des policiers arrivent et l’emmènent en garde à vue. Au début, les fonctionnaires ont libéré Tabitha Gill sans que des poursuites soient engagées contre elle, mais sous la pression de la foule, la police a finalement enregistré une plainte contre elle. Le 9 avril 2021, deux infirmières chrétiennes travaillant à l’hôpital civil de Faisalabad ont été sauvées par des policiers d’une foule enragée après qu’un médecin les eut accusées d’avoir gratté un autocollant islamique d’un placard.
Une affaire de meurtre liée à des accusations de blasphème a impliqué une enseignante, Safoora Bibi, qui, le 29 mars 2022, s’est fait trancher la gorge par deux collègues et une de leurs nièces, après que la nièce eut déclaré avoir vu Safoora Bibi offenser le prophète Mahomet dans un rêve.
Le crime le plus odieux lié au blasphème a sans aucun doute été le meurtre de Priyantha Kumara Diyawadana, un chef d’entreprise sri-lankais tué à Sialkot le 3 décembre 2021. Les extrémistes ont accusé Priyantha Kumara Diyawadana d’avoir déchiré des affiches sur lesquelles des versets coraniques étaient écrits. Selon d’autres informations, il avait simplement arraché des affiches du parti islamiste Tehreek-e-Labbaik Pakistan (TLP) des murs de son usine. Dans les vidéos diffusées en ligne, on peut voir une foule frapper l’homme allongé tandis que des slogans du TLP contre le blasphème peuvent être entendus. D’autres personnes ont pris des selfies avec le corps en feu. Le Premier ministre pakistanais Imran Khan a condamné l’attaque, « un jour de honte pour le Pakistan », a-t-il écrit sur Twitter. « Je supervise l’enquête. Qu’on ne se trompe pas : tous les responsables seront punis avec toute la sévérité de la loi. Les arrestations sont en cours ».
Alors que les exécutions extrajudiciaires continuent de se produire, peu de progrès ont pu être observés au cours de la période faisant l’objet du présent rapport en ce qui concerne les affaires de blasphème, à l’exception de la libération d’un couple de chrétiens condamnés à mort pour blasphème en 2014. Le 3 juin 2021, un tribunal a acquitté Shafqat Masih et son épouse Shagufta Kousar Masih, qui étaient dans le couloir de la mort depuis sept ans après avoir été accusés d’avoir envoyé des SMS blasphématoires dans lesquels ils insultaient le prophète Mahomet. Bien que l’accusation ait été fragile et que les époux aient été acquittés faute de preuves, il leur a fallu plusieurs années pour prouver leur innocence.
Le cas du Pasteur Zafar Bhatti est différent. Le plus ancien prisonnier pour blasphème du Pakistan a vu sa condamnation à perpétuité de manière inattendue et incompréhensible commuée en peine de mort en janvier 2022. Emprisonné le 22 juillet 2012, il a été accusé d’avoir envoyé des SMS blasphématoires depuis son téléphone, mais il a toujours clamé son innocence.
Toujours en janvier 2022, un tribunal pakistanais a condamné à mort une femme musulmane, Aneeqa Atteeq, qui avait été arrêtée en mai 2020 après qu’un homme eut alerté la police qu’elle lui avait envoyé des caricatures du Prophète, considérées comme sacrilèges, via WhatsApp.
La plus jeune personne à avoir été accusée de blasphème au Pakistan est un garçon hindou de huit ans. En août 2021, il a été accusé d’avoir intentionnellement uriné sur un tapis dans la bibliothèque d’une école islamique (madrassa), où étaient conservés des livres religieux. Les accusations ont forcé la communauté hindoue locale à fuir et ont conduit à l’attaque d’un temple hindou.
Le nombre de cas de filles chrétiennes et hindoues enlevées et réduites en esclavage sexuel, sous prétexte de conversion à l’islam et de mariage avec leur ravisseur, a continué d’augmenter au cours de la période faisant l’objet du présent rapport.
Parmi plusieurs cas impliquant des filles chrétiennes, celui de Mahnoor Ashraf se démarque. Le 4 janvier 2022, l’adolescente de 14 ans a été enlevée par Muhammad Ali Khan Ghauri, un musulman de 45 ans déjà marié et père de deux enfants. Le père de Mahnoor a signalé l’incident à la police, mais les policiers n’ont rien fait ou presque jusqu’au 7 janvier pour résoudre l’affaire. C’est alors que Muhammad Ali Khan Ghauri a annoncé que Mahnoor s’était volontairement convertie à l’islam et l’avait épousé le jour même de l’enlèvement.
Une autre affaire, qui semblait avoir été résolue avec succès, prouve les limites de l’application de la loi au Pakistan. En avril 2022, Meerab Mohsin, une jeune fille catholique pakistanaise de 16 ans, a été victime de viol, de mariage et conversion forcés. Bien qu’elle ait réussi à échapper à son agresseur musulman et à retourner dans sa famille, le tribunal n’a pas invalidé le mariage. Comme l’a expliqué l’avocat de la jeune fille, Tabassum Yousaf, à l’Aide à l’Église en Détresse, les parents « sont très préoccupés par la décision ambiguë du tribunal, parce qu’à tout moment la décision pourrait être interprétée différemment et la famille pourrait être forcée de rendre leur fille à son mari, puisque le tribunal n’a pas annulé le mariage ».
Le fléau des enlèvements et des conversions forcées affecte également gravement la communauté hindoue. Le 24 septembre 2022, une jeune fille hindoue de 14 ans a été enlevée dans la ville d’Hyderabad, dans la province pakistanaise du Sindh. Selon les parents de la jeune fille, Chandra Mehraj a été enlevée dans le quartier de Fateh Chowk à Hyderabad alors qu’elle rentrait chez elle. C’était le quatrième cas d’enlèvement et de conversion forcée d’une fille hindoue en seulement 15 jours.
Perspectives pour la liberté religieuse
La vie continue d’être difficile pour les minorités au Pakistan. Compte tenu de la grave crise économique et de l’instabilité politique du pays, aucune amélioration n’est attendue dans un proche avenir. En outre, l’arrivée au pouvoir des talibans dans l’Afghanistan voisin pourrait contribuer à la croissance du fondamentalisme islamique.
Le cadre juridique pakistanais manque toujours de lois pour protéger les minorités et empêcher les conversions forcées. Cela n’a cependant pas empêché le développement de quelques groupes de défense des droits des minorités qui parviennent, par des voies nationales et transnationales, à avoir un certain impact sur l’opinion publique internationale.
Le plus inquiétant, cependant, est l’éducation de plus en plus islamocentrique, qui contribue dès l’école primaire à la discrimination et aux attitudes négatives à l’égard des membres des minorités religieuses, une situation que le programme national unique a contribué à exacerber. Les perspectives de liberté religieuse restent négatives.