Le cadre juridique de la liberté religieuse et son application effective
Protection constitutionnelle
La liberté religieuse est inscrite dans les clauses relatives à l’établissement et au libre exercice d’une religion, dans le premier amendement qui dispose que « le Congrès ne fera aucune loi concernant l’établissement d’une religion ou interdisant le libre exercice de celle-ci... ». Le premier amendement s’applique également aux États par le biais de la clause relative au droit à un procès régulier du quatorzième amendement, connue sous le nom de doctrine de l’incorporation.
Si une affaire est intentée contre le gouvernement en violation de la clause d’établissement, la Cour applique un critère en trois parties tel qu’énoncé dans l’arrêt Lemon contre Kurtzman : (1) la loi a-t-elle un objet laïc ? ; (2) la loi a-t-elle un effet principal qui n’est ni de promouvoir ni d’inhiber la religion ? et (3) le gouvernement a-t-il évité de s’impliquer excessivement dans la religion ?
Si une affaire est intentée contre le gouvernement pour violation de la clause de libre exercice, la Cour applique un examen rigoureux, le plus haut niveau d’examen, qui exige que le gouvernement prouve que la loi en cause : (1) sert un intérêt impérieux de l’État ; (2) est nécessaire pour servir cet intérêt ; (3) est strictement adaptée ; et (4) utilise les moyens les moins restrictifs pour promouvoir les intérêts du gouvernement.
Législation fédérale
Le Civil Rights Act de 1964 interdit la discrimination en matière d’emploi sur « la base de la race, de la couleur de peau, de la religion, du sexe ou de l’origine nationale ». Toutefois, un employeur peut ne pas être tenu d’être accommodant avec les pratiques religieuses d’une personne s’il démontre que l’accommodement entraînerait un « préjudice injustifié ». En outre, l’article 702 de cette loi reconnaît que les institutions religieuses ont le droit d’employer des personnes de la même religion pour « accomplir un travail lié à l’exercice de ses activités par cette association, cet établissement d’enseignement ou cette société ».
La loi de 1993 sur le rétablissement de la liberté religieuse protège également la liberté religieuse, interdisant au gouvernement « d’imposer une charge substantielle à l’exercice de la religion par une personne, même si ce fardeau résulte d’une règle d’application générale, sachant que le gouvernement ne peut entraver l’exercice de la religion d’une personne que s’il démontre que l’application de la charge à la personne : (1) favorise un intérêt gouvernemental impérieux ; et (2) est le moyen le moins restrictif pour promouvoir cet intérêt gouvernemental impérieux ». La norme de contrôle est un examen rigoureux et, par conséquent, la norme la plus élevée que le gouvernement est dans l’obligation de respecter.
En 2022, le Congrès a adopté la Loi sur le respect du mariage, qui exige que tous les États reconnaissent et accordent « pleine foi et crédit » aux mariages homosexuels. La Loi dispose qu’elle ne doit pas être « interprétée comme diminuant ou abrogeant la liberté religieuse ou la protection de la conscience ». De plus, aucune organisation religieuse ou aucun employé d’organisation religieuse ne peut être « tenu de fournir des services [...] pour la célébration d’un mariage », et le refus de fournir de tels services « ne créera pas non plus de poursuite civile ou de cause d’action ». Toutefois, il y a lieu de craindre que ces organisations religieuses ne soient encore pénalisées par la perte de leur statut d’exonération fiscale et de leur permis d’exercice, ce qui limiterait leur capacité de fonctionner. Un amendement répondant à cette préoccupation a été proposé, mais n’a pas été inclus dans le projet de loi final. En outre, l’ambiguïté concernant ce qui constitue une « personne agissant sous couvert de la loi de l’État » est préoccupante, car elle peut constituer une échappatoire potentielle pour les poursuites.
Arrêts récents de la Cour suprême
Dans l’affaire Fulton contre Ville de Philadelphie, jugée le 17 juin 2021, la ville de Philadelphie a refusé de passer un contrat avec les services sociaux catholiques (CSS) pour fournir des services de placement familial, en raison du refus des CSS de certifier les couples de même sexe en tant que familles d’accueil potentielles. La question était de savoir si l’exigence contractuelle de Philadelphie, interdisant la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, violait la clause de libre exercice. La Cour s’est prononcée en faveur des CSS, déclarant que « l’exigence contractuelle de non-discrimination impose un fardeau à l’exercice religieux des CSS » et que la ville de Philadelphie n’avait pas d’intérêt impérieux à refuser une exception aux CSS.
Dans l’affaire Carson contre Makin, jugée le 21 juin 2022, l’État du Maine a offert un programme d’aide aux frais de scolarité aux parents d’un district scolaire où il n’y avait pas d’école secondaire. Dans le cadre du programme, les parents pouvaient choisir une école, puis le district scolaire était censé envoyer des paiements à l’école en cause pour compenser les frais de scolarité. Pour être admissibles, les écoles devaient être « non confessionnelles », à l’exclusion des écoles privées confessionnelles. La question était de savoir si la clause de caractère « non confessionnel » violait les clauses d’établissement et de libre exercice. La Cour a statué que le programme du Maine était inconstitutionnel parce que l’État ne pouvait pas « exclure certains membres de la communauté d’un bien public par ailleurs généralement disponible, en raison de leur exercice d’une religion ».
Dans l’affaire Kennedy contre Bremerton, jugée le 27 juin 2022, un entraîneur de football d’un lycée avait perdu son emploi pour s’être agenouillé après un match de football afin de faire une prière sur le terrain. La question était de savoir si la destitution de l’entraîneur par le district scolaire violait la liberté d’expression et la clause de libre exercice. La Cour a estimé que punir l’entraîneur pour avoir fait une prière n’était pas neutre ni applicable de façon générale, ce qui a déclenché un examen rigoureux. Le district scolaire ne s’est pas acquitté du fardeau de la preuve et a « cherché à punir une personne pour s’être livrée à une pratique religieuse personnelle, sur la base d’une opinion erronée selon laquelle il a le devoir d’empêcher les pratiques religieuses, alors même qu’il autorise un discours laïque comparable ».
Les Petites Sœurs des Pauvres et d’autres organisations religieuses sont engagées dans une bataille juridique continue depuis 2013, lorsque le ministère de la Santé et des Services sociaux (HHS) a imposé aux employeurs de proposer des contraceptifs et des abortifs dans la couverture des soins de santé de 2011. De 2013 à 2016, la Cour suprême a statué en faveur des Petites Sœurs à trois reprises. Le HHS a donc émis une exception en 2017 pour les organisations religieuses à but non lucratif. Cependant, la question s’est posée à nouveau en 2017 lorsque l’État de New York a exigé des employeurs qu’ils pratiquent l’avortement dans le cadre de leurs régimes de soins de santé. Dans l’affaire Diocèse d’Albany contre Vullo, la dernière affaire de 2021 impliquant les Petites Sœurs des Pauvres, la Cour suprême a renvoyé l’affaire devant la Cour d’appel de New York, estimant que la cour d’appel n’avait pas appliqué une analyse d’examen stricte.
Incidents et développements
Crimes de haine
Les crimes de haine motivés par des préjugés religieux ont considérablement augmenté en 2021 par rapport à l’année précédente, à l’exception des crimes de haine antijuifs. Selon le dernier rapport 2021 du programme de déclaration uniforme de la criminalité (UCR) du FBI, 1 112 crimes de haine anti-religieux ont été signalés. Parmi ces infractions, 31,6% avaient un caractère anti-juif contre 56,6% en 2020, soit une baisse de plus de vingt pourcents en 2021. En revanche, 19,6 % des crimes de haine signalés étaient anti-sikhs, soit le triple du pourcentage de 2020 qui était de 6,6 %. Il y a eu 10,9 % de crimes de haine à caractère antimusulman, en hausse de près de 2% par rapport aux 9,0% de l’année précédente. 6,7% des crimes de haine étaient anti-orthodoxes orientaux, soit le double des 3,1% de l’année précédente. Et les crimes de haine anticatholiques ont augmenté de près d’un pourcent, passant de 5,5 à 6,4%.
Le FBI a divulgué aux médias un document daté du 23 janvier 2023, intitulé « L’intérêt des extrémistes violents à motivation raciale ou ethnique dans l’idéologie catholique radicale-traditionaliste présente presque certainement de nouvelles opportunités d’atténuation ». Le document assimilait les catholiques conservateurs à des extrémistes ayant des liens avec des groupes dangereux et recommandait d’approcher les paroisses et d’essayer d’identifier celles qui chercheraient à utiliser même les lieux de culte « comme plates-formes de facilitation pour promouvoir la violence ». Le FBI, interrogé par l’agence de presse catholique, a déclaré qu’il retirerait immédiatement le document, car il ne répondait pas aux normes du FBI.
En 2021, l’Anti-Defamation League (ADL) a signalé un total de 2 717 cas d’agression, de harcèlement et de vandalisme contre des juifs, soit une augmentation de 34% par rapport à 2020. En outre, les rapports notent qu’il y a eu 88 agressions antisémites aux États-Unis avec un total de 131 victimes. Des exemples des cas signalés peuvent être trouvés dans le rapport. Un autre rapport, rédigé par « Americans against Anti-Semitism », a enregistré 194 cas de crimes de haine antisémites à New York de 2018 à 2022. Sur un total de 194 crimes de haine, 94% des victimes étaient des juifs orthodoxes ou hassidiques.
En avril 2022, un homme du New Jersey a été inculpé de quatre chefs d’accusation de crimes de haine et d’un chef de piraterie routière, après avoir agressé physiquement quatre juifs orthodoxes, disant aux enquêteurs que « cela devait être fait » et que « ce sont de vrais diables ».
Toujours en avril 2022, au cours de trois différents incidents, trois hommes sikhs du même pâté de maisons dans le Queens, à New York, ont été frappés par deux inconnus qui leur ont arraché leurs turbans et les ont volés.
Un rapport de 2022 du Conseil des relations américano-islamiques (Council on American - Islamic Relations – CAIR) a reçu 308 plaintes pour des crimes de haine / préjugés et a enregistré plusieurs cas de crimes de haine en 2021, notamment « harcèlement verbal, vandalisme dans les mosquées et violence physique, par exemple le fait d’avoir arraché de force des hijabs ». Le rapport de 2022 indiquait également qu’il y avait eu une augmentation de 28% des cas de haine et de préjugés, ce qui, selon le CAIR, révélait un manque de signalement au FBI en raison de la réticence des organismes d’application de la loi à partager des statistiques, ainsi qu’un manque de confiance dans l’application de la loi dans la communauté musulmane « en raison de la surveillance de masse, des expulsions, interrogatoires et autres actes de harcèlement par les forces de l’ordre locales et fédérales, sans aucune conséquence pour celles-ci ».
En mai 2022, les églises catholiques ont également connu une augmentation des destructions de biens et cas de vandalisme après la divulgation du projet de décision dans l’affaire Dobbs contre Jackson, décision de la Cour suprême annulant la décision Roe contre Wade. Sur un total de 285 attaques enregistrées depuis mai 2020, 127 de ces attaques se sont produites après la fuite du projet de décision dans les médias.
De mai 2020 à aujourd’hui, la Conférence des évêques catholiques des États-Unis (USCCB) a enregistré 199 cas d’attaques d’églises ou de sites catholiques, notamment « des incendies criminels, des statues décapitées, des membres coupés, brisés et recouverts de peinture, des pierres tombales défigurées avec des croix gammées et un langage anticatholique et des drapeaux américains à côté d’eux brûlés, et divers autres types de destruction et vandalisme ». L’un des cas les plus récents s’est produit dans un monastère bénédictin de l’Arkansas où un autel a été détruit avec une massue et des reliques de saints vieilles de 1 500 ans ont été volées. D’autres cas, classés par mois et par année, peuvent être consultés sur le site Web de l’USCCB.
COVID-19
Pendant la pandémie, plusieurs membres des forces armées ont été congédiés pour avoir refusé le vaccin anti-COVID alors qu’ils avaient déposé des demandes d’accommodement religieux, ce qui a entraîné plusieurs procès. En décembre 2022, le Président Biden a promulgué la « Loi sur l’autorisation de la défense nationale », levant pour le personnel militaire l’obligation fédérale de se faire vacciner contre le COVID.
Depuis 2020, toujours en ce qui concerne les questions d’équité, l’obligation faite aux institutions religieuses de subir des confinements ou de limiter la présence physique aux offices religieux a conduit, dans plusieurs États, à une série d’actions en justice sur la base de questions constitutionnelles. Dans l’affaire Tandon contre Newsom, l’une des affaires les plus récentes concernant les confinements d’établissements religieux à cause du COVID, la Cour suprême a interdit à la Californie d’appliquer aux rassemblements privés des restrictions limitant les rassemblements religieux à trois ménages en même temps. La Californie n’avait pas appliqué les mêmes limitations aux activités laïques, leur offrant plutôt « une myriade d’exceptions et d’accommodements ». La Cour a conclu que la restriction était inconstitutionnelle et a statué que l’État ne pouvait pas « présumer le pire quand les gens vont au culte, mais supposer le meilleur quand les gens vont au travail ».
Perspectives pour la liberté religieuse
Comme Thomas Jefferson l’a dit en 1822, « La liberté constitutionnelle de religion [est] le plus inaliénable et le plus sacré de tous les droits de l’homme ». À ce jour, il reste un rempart inébranlable de la liberté américaine. Néanmoins, le droit à la liberté religieuse a été grandement affecté par les conflits politiques et culturels actuels, ce qui a conduit à une opposition croissante et à des contestations constitutionnelles.
Au cours des dernières années, la Cour suprême a toujours confirmé le droit des organisations religieuses et des individus d’exercer librement leur religion, en utilisant une analyse rigoureuse. Cependant, il reste à voir si la nouvelle Loi sur le respect du mariage maintiendra, en pratique, les protections pour les organisations religieuses et les personnes qui croient au mariage traditionnel.
L’augmentation des crimes de haine contre les minorités religieuses visibles, comme les juifs orthodoxes, les sikhs et les musulmans, demeure préoccupante. Un malaise supplémentaire résulte par ailleurs de la vague croissante d’attaques contre les bâtiments et les biens appartenant à l’Église catholique en 2022, à la suite de la décision Dobbs, symptomatique d’une division culturelle marquée au sein de la société américaine. Malgré cela, les perspectives de liberté religieuse restent inchangées.