Le Pakistan a été fondé au moment de la partition de l’Inde britannique en 1947. Ce n’est que plus tard que la dévotion musulmane du pays s’est affirmée, alors qu’il commençait à prendre une orientation nettement islamique sous la dictature du Général Zia ul-Haq, au pouvoir de 1977 à 1988. De ce fait, la loi islamique (charia) en est venue à jouer un plus grand rôle au sein du système juridique pakistanais.
La population est presque entièrement musulmane, majoritairement sunnite (entre 85 et 90 pourcents). Les chiites représentent environ 10 à 15 pourcents de la population. Les minorités religieuses, pour la plupart chrétiennes, hindoues et ahmadis, ainsi que quelques bahaïs, sikhs, parsis et une communauté juive en déclin, ne font que 3,6 %. Les principaux groupes ethniques sont (en pourcentages) les punjabis (44,7), pachtounes ou pathans (15,4), sindhis (14,1), saraikis (8,4), muhadjirs (7,6), baloutchs (3,6), et autres (6,3).
Le Pakistan est signataire de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et a ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques en 2010. Il est donc tenu, conformément à son article 18, d’accorder la liberté de pensée, de conscience et de religion à sa population.
Bien que l’article 2 de la Constitution pakistanaise de 1973 (amendée à plusieurs reprises, pour la dernière fois en 2015) dispose que « l’islam est religion d’État du Pakistan », le même texte prétend garantir des droits aux minorités religieuses. En fait, il est dit dans son préambule que « des dispositions adéquates doivent être prises pour que les minorités professent et pratiquent librement leurs religions et développent leurs cultures ». L’article 20, points a et b, reconnaît que « tout citoyen a le droit de professer, de pratiquer et de propager sa religion », et que toute confession religieuse a « le droit d’établir, de maintenir et de gérer ses institutions religieuses ».
L’article 21 dispose que « nul ne peut être contraint de payer un impôt spécial dont les recettes seront dépensées pour la propagation ou l’entretien d’une religion autre que la sienne ». L’article 22, alinéas 1er et 3, contient des « garanties pour les établissements d’enseignement en ce qui concerne la religion », et prévoit clairement que « aucune personne qui fréquente un établissement d’enseignement ne doit être tenue de recevoir des cours d’instruction religieuse » et « aucune communauté ou confession religieuse ne peut être empêchée de fournir des cours d’instruction religieuse aux élèves de cette communauté ».
Mais en réalité, cet article n’est pas pleinement appliqué, car de nombreux élèves des écoles publiques sont tenus d’assister à des cours coraniques ou de suivre des cours sur l’islam, sans quoi ils perdent les importants crédits nécessaires pour finir l’année scolaire. En outre, dans les écoles publiques, des matières telles que l’histoire, la littérature et les mathématiques sont fortement imprégnées de préceptes islamiques. Récemment, le gouvernement du Pendjab a rendu obligatoire l’enseignement du Coran au niveau universitaire.
À l’article 260, alinéa 3, point b), de la Constitution, une distinction est faite entre musulmans et non-musulmans, ce qui attise les préjugés religieux et alimente les attitudes discriminatoires à l’égard, par exemple, de la communauté ahmadie, qui est décrite comme non musulmane. L’article 41, alinéa 2, est clairement discriminatoire, dans la mesure où il dispose que « nul ne sera qualifié pour être élu à la présidence à moins d’être musulman ». L’article 91, alinéa 3, dispose également que le Premier ministre doit être musulman. Conformément à l’article 203 E, la Cour Fédérale Islamique (de la Charia) a le pouvoir d’invalider toute loi contraire à l’islam ou de suggérer des amendements à celle-ci.
Le système électoral pakistanais est tout aussi discriminatoire, ce qui a de nouveau été mis en évidence lors des élections législatives de juillet 2018. Le Pakistan a un Président élu par un collège électoral composé de membres de l’Assemblée nationale et de membres d’assemblées provinciales. Il n’y a pas d’élections présidentielles à l’échelle nationale.
Le parlement bicaméral pakistanais comprend une Assemblée nationale de 342 membres et un Sénat de 104 membres. 272 membres de la chambre basse sont élus à la majorité simple à un tour, tandis que les 70 autres sièges sont réservés, 60 aux femmes (élues au scrutin proportionnel) et 10 aux minorités non musulmanes (élues dans le cadre d’une circonscription nationale unique). Les sénateurs sont élus par les quatre assemblées provinciales du pays, ce qui reflète la nature fédérale de l’État pakistanais, mais dans ce cas aussi, des sièges sont réservés aux femmes et aux minorités.
Bien que cela garantisse une certaine représentation de ces groupes, il est pratiquement exclu que des femmes ou des candidats issus des minorités cherchent à briguer l’un des 300 autres sièges. Cette situation a conduit de nombreux politiciens non musulmans à s’aligner sur les partis politiques dirigés par des musulmans, ce qui est moins efficace pour promouvoir des politiques visant à améliorer la situation des minorités. Les candidats élus aux sièges réservés sont toujours liés par la discipline de parti, même si cela implique d’ignorer les préoccupations de leur propre communauté.
Le statut des minorités religieuses continue d’être affecté par ce qu’on appelle les « lois pakistanaises sur le blasphème », introduites par le général Zia-ul-Haq entre 1982 et 1986. À proprement parler, il ne s’agit pas de lois, mais de modifications du Code pénal pakistanais, à savoir des articles 295B, 295C, 298A, 298B et 298C, qui restreignent sévèrement la liberté de religion et la liberté d’expression. Parmi les infractions répréhensibles, il y a la « profanation » du Coran et l’insulte au prophète Mohammed. Les peines prévues pour ces infractions peuvent aller, respectivement, jusqu’à l’emprisonnement à perpétuité et à la peine de mort.
Comme le concept de « blasphème » est assez large. Il est aisé d’abuser de la notion pour sanctionner divers types de conduite, y compris le manque de respect envers des personnes, objets du culte, coutumes et croyances. Bien que l’article 295A protège toutes les religions contre les « actes délibérés et malveillants visant à outrager les sentiments religieux », les alinéas suivants de cet article ainsi que les articles 298B et 298C ciblent exclusivement les comportements jugés anti-islamiques.
Historiquement, le système juridique pakistanais est une combinaison de common law anglaise et de charia, mais les pratiques juridiques sont centrées sur l’islam, surtout depuis que le Code pénal a été modifié dans les années 1980. Il n’est donc pas surprenant qu’à peine six cas de blasphème aient été enregistrés entre 1947 (date de la fondation du Pakistan) et les années 1980 (lorsque des amendements ont été introduits), contre 1.550 cas introduits entre 1987 et 2017.
Même si, au cours de la période faisant l’objet du présent rapport, certaines personnes accusées de blasphème ont été libérées, dont la désormais célèbre Asia Bibi, le nombre de cas et de condamnations à mort pour blasphème n’a pas diminué.
Des accusations de blasphème ont été portées, tant contre des musulmans que contre des membres de minorités religieuses. Toutefois, lorsque des non-musulmans sont impliqués, les accusations entraînent souvent des lynchages, des attaques de quartiers entiers par des foules, et des exécutions extrajudiciaires. En outre, le nombre de personnes appartenant à des minorités religieuses qui sont accusées de blasphème est très disproportionné par rapport à leur part dans la population. Sur les 1550 personnes accusées de blasphème entre 1986 et 2017, il y avait 720 musulmans, 516 ahmadis, 238 chrétiens, 31 hindous et 44 personnes de religion inconnue. Cela signifie que 46,45 % des personnes accusées étaient de confession musulmane (alors que les musulmans sont 96,4 % de la population), tandis que 50,7 % des cas concernaient des minorités (qui sont 3,6 % de la population). Parmi ces derniers, il y avait 33,5 % d’ahmadis, 15,3 % de chrétiens et 2 % d’hindous.
Les articles 298B et 298C du Code pénal pakistanais, promulgués en vertu de l’ordonnance XX de 1984 de Zia-ul-Haq, sont particulièrement préoccupants. Ces articles sanctionnent pénalement les ahmadis qui prétendraient être musulmans ou affirmeraient que leur foi est l’islam.
Selon Omar Waraich, chef de la section d’Asie du Sud d’Amnesty International, « il y a peu de communautés au Pakistan qui ont autant souffert que les ahmadis ». Certaines sources mentionnent qu’entre 1984 et 2019, deux cent soixante-deux ahmadis ont été tués en raison de leur foi, 388 ont été victimes de violences, et 29 mosquées ahmadies ont été détruites. Selon la loi, ils ne peuvent pas avoir leurs propres mosquées ni faire l’appel à la prière, et pour voter, ils doivent soit être classés comme non-musulmans, soit adhérer à l’un des courants dominants de l’islam.
La persécution des ahmadis remonte à la fondation du mouvement à la fin du 19ème siècle. Bien que les ahmadis reconnaissent Mahomet comme prophète, ils sont considérés comme hérétiques par les musulmans traditionnels parce qu’ils croient que leur fondateur, Mirza Ghulam Ahmad, était le Mahdi, une figure messianique de l’islam. Ils croient aussi qu’il était la réincarnation de Mahomet, Jésus et du Dieu hindou Krishna.
En juillet 2020, l’Assemblée provinciale du Pendjab a adopté un projet de loi, la Loi sur la protection de la Fondation de l’islam (Tahaffuz-e-Bunyad-e-Islam), qui est très préoccupant. La nouvelle loi impose essentiellement une définition sunnite de l’islam. Elle interdit tout matériel imprimé jugé offensant pour Mahomet ou pour d’autres personnalités religieuses saintes, et exige que lorsque les gens parlent du prophète lui-même, ils fassent précéder son nom du titre de « Sceau des prophètes de Dieu » (Khatam-an-Nabiyyin), suivi de l’invocation arabe « la paix soit sur lui » (sallallahu alaihi wasallam).
L’éducation est un autre domaine dans lequel les allégations de blasphème et la violence contre les minorités se multiplient. Dans son étude de sept ans intitulée « Liberté de religion et d’éducation : une fiche d’information », la Commission Nationale (catholique) pour la Justice et la Paix a constaté que les programmes scolaires et ceux des lycées favorisaient la discrimination à l’égard des non-musulmans. Selon le rapport, « les inexactitudes factuelles, le révisionnisme historique et les omissions facilement reconnaissables enseignent une version de l’histoire résolument monolithique, renforcent les stéréotypes négatifs, et créent un récit conflictuel à l’égard des minorités religieuses ».
Les programmes et manuels scolaires jouent un rôle essentiel dans la promotion d’une culture de l’intolérance à l’égard des minorités, et il y a lieu de beaucoup s’inquiéter du programme national unique qui devrait être mis en œuvre en 2021. La Commission des droits de l’homme du Pakistan s’est dite préoccupée par le fait que le programme national unique pourrait « violer la garantie constitutionnelle selon laquelle aucun membre d’une minorité religieuse ne sera tenu de recevoir une instruction religieuse qui ne corresponde pas à sa propre religion ».
En 2020, le gouvernement a créé une Commission Nationale pour les Minorités (MR). Cette initiative a été inspirée par une injonction de la Cour suprême du Pakistan, en juin 2014, de créer une agence de protection des minorités, suite à l’attaque d’une église à Peshawar en septembre 2013. En mai 2020, le Ministère des affaires religieuses et de l’harmonie interreligieuse a également notifié à la Commission Nationale pour les Minorités récemment créée son mandat de veiller à ce que les lieux de culte des communautés non musulmanes soient préservés et maintenus dans des conditions fonctionnelles. Toutefois, le statut de la Commission nationale pour les minorités est incertain, puisqu’il s’agit simplement d’un organisme ad hoc mis sur pied par le Cabinet fédéral et non d’un organisme légalement institué, et que ses pouvoirs sont limités. Qui plus est, les ahmadis ne sont pas représentés dans cet organe parce que, pour citer le Ministre de l’Information Shibli Faraz, ils ne « rentrent pas dans la définition des minorités ». Enfin, depuis l’adoption du 18ème amendement à la Constitution en 2010, les minorités sont devenues une question relevant de la compétence provinciale, et la Commission Nationale pour les Minorités n’a aucun pouvoir légal de faire appliquer ses résolutions.
Le mariage est une autre question juridique majeure qui a touché les minorités religieuses. Pour les chrétiens, il y a eu une certaine amélioration. En 2019, la Cour suprême du Pakistan a jugé que les chrétiens pouvaient faire enregistrer leur mariage avec un certificat de mariage officiel.
Cependant, pas grand-chose de plus. En vertu de la loi pakistanaise, l’âge minimum du mariage est de 18 ans, mais ce point a été constamment négligé par les tribunaux qui acceptent les pratiques islamiques permettant aux filles de se marier dès qu’elles ont leurs premières règles.
Cette question est particulièrement sensible en raison des cas de mariages et conversions forcés de jeunes filles chrétiennes et hindoues. Pour faire face à la situation, l’assemblée provinciale du Sindh a adopté en 2013 la Loi sur les restrictions au mariage des enfants. Le Sindh a été la seule province à le faire. Pourtant, c’est la même province qui compte le plus grand nombre de cas de mariages forcés. Certaines jeunes filles enlevées ont été rendues à leurs familles au cours de la période faisant l’objet du présent rapport. Cependant, la loi n’est pas en mesure de faire annuler les mariages islamiques, même s’il peut être prouvé que la jeune fille était mineure au moment de son mariage.
Une loi nationale semble nécessaire. Le Sénat pakistanais a tenté de s’attaquer au problème en 2020. Son Comité permanent pour la protection des minorités contre les conversions forcées a commencé à se pencher sur la question en juillet 2020. Le projet de loi sur la protection des droits des minorités a été présenté au Sénat en août, mais le Comité permanent sur les affaires religieuses et l’harmonie interconfessionnelle l’a rejeté un mois plus tard au motif que « les minorités pakistanaises ont déjà obtenu plusieurs droits ». En novembre, le projet de loi a de nouveau été présenté au Sénat. S’il était approuvé, cela empêcherait les conversions forcées ainsi que les contenus anti-minorité dans les manuels scolaires, et imposerait sept ans de prison et une amende pour conversion forcée et 14 ans en cas de mariage forcé impliquant des membres de minorités.
Au cours de la période faisant l’objet du présent rapport, il y a eu des dizaines d’incidents affectant la liberté religieuse ainsi que des développements positifs et négatifs.
Du côté positif, depuis l’arrivée au pouvoir du Premier ministre Imran Khan et de son parti Tehreek-e-Insaf en août 2018, quelques mesures positives ont été adoptées en faveur des minorités.
Le gouvernement s’en est pris aux extrémistes dirigés par le Tehrik-e-Labaik Pakistan qui ont demandé l’annulation de l’acquittement d’Asia Bibi en octobre 2018. Au lieu de cela, les autorités ont arrêté des membres de la direction du Tehrik-e-Labaik Pakistan.
En ce qui concerne les hindous et les sikhs, quelques jours avant le 550ème anniversaire de la naissance du fondateur du sikhisme, Guru Nanak, le 12 novembre 2019, le gouvernement a ouvert le couloir de Kartarpur pour permettre aux pèlerins sikhs indiens de se rendre dans le sanctuaire du Gurdwara Darbar Sahib, l’un des lieux les plus saints du sikhisme, situé dans la province pakistanaise du Pendjab. Pour les pèlerins sikhs indiens, ce corridor réduit le temps de déplacement, les coûts et les formalités administratives à la frontière.
Malgré ces progrès, la vie des membres des minorités pakistanaises reste difficile. C’est également le cas de la communauté chiite pakistanaise, la plus grande minorité du pays, qui continue d’être la cible d’attaques violentes. C’est surtout la communauté chiite hazara, basée principalement à Quetta, au Baloutchistan, qui a souvent été attaquée par des extrémistes. Un rapport publié par la Commission nationale des droits de l’homme indique que 509 hazaras ont été tués et 627 blessés dans divers actes de terrorisme à Quetta au cours des cinq dernières années.
Il n’est pas surprenant non plus que les persécutions contre les ahmadis se soient poursuivies au cours des deux dernières années, après que le Premier ministre Imran Khan eut publiquement soutenu les lois et les groupes anti-ahmadis pendant la campagne électorale de 2018. Une fois élu, Imran Khan a nommé un ahmadi, Atif Mian, au Conseil Économique Consultatif, mais à la suite des protestations des membres et des partisans de son propre parti, il est revenu sur sa décision.
Le terrorisme contre les minorités s’est également poursuivi sans relâche. Le pays s’est classé cinquième dans l’édition de 2019 de l’Indice mondial de terrorisme et a été l’un des 10 pays représentant conjointement 87 % des décès liés au terrorisme en 2018.
La communauté chiite hazara a été fréquemment prise pour cible. Le 12 avril 2019, un attentat suicide sur un marché aux légumes du quartier de Hazar Gunji à Quetta a fait 21 morts et 50 blessés graves. Le marché est fréquenté par les commerçants hazaras. L’attaque a été revendiquée par le groupe État islamique.
Début septembre 2020, des groupes extrémistes sunnites ont organisé au moins quatre manifestations anti-chiites sans précédent au cours desquelles les chiites ont été décrits comme « hérétiques » et « infidèles », dans l’apparente indifférence des autorités pakistanaises.
Le même mois, au moins cinq chiites ont été tués dans différentes parties du pays au cours de violences confessionnelles, tandis que plus de 30 plaintes pour blasphème ont été déposées contre des chiites. Au moins une assemblée de chiites a été attaquée, et plusieurs vidéos sont apparues sur les réseaux sociaux montrant des chiites contraints d’accepter la vision historique sunnite des califes.
Le 8 mai 2019, pendant le mois sacré du Ramadan, une bombe a explosé près de Data Darbar, un important sanctuaire soufi de Lahore, bondé de centaines de pèlerins, tuant 13 personnes. Hizbul Ahrar, un groupe dissident de Jamaat-ul-Ahrar et Tehrik-i-Taliban Pakistan, en a revendiqué la responsabilité.
Des lieux de culte ahmadis ont également été pris pour cible. Le 6 février 2020, une foule a pris d’assaut une mosquée ahmadie vieille de 100 ans à Kasur, au Pendjab. Les autorités locales ont cédé aux pressions des extrémistes et leur ont remis la mosquée. En octobre 2019, une autre mosquée ahmadie a été « rasée », dans le district de Bahawalpur. En juillet 2002, un cimetière ahmadi a été profané au Pendjab.
Pour évoquer un point plus positif, certaines personnes condamnées pour blasphème ont vu leur peine annulée. Asia Bibi, une chrétienne condamnée à mort pour blasphème en 2010, a finalement été acquittée par la Cour suprême du Pakistan le 31 octobre 2018. Toutefois, à la suite de manifestations de rue de grande ampleur, elle a dû attendre janvier 2019 pour que son acquittement soit à nouveau confirmé. Par la suite, elle a déménagé au Canada avec sa famille. Sawan Masih, un autre chrétien, a également été acquitté dans une affaire de blasphème, le 5 octobre 2020.
De telles conclusions ne peuvent toutefois effacer les longues années passées en prison par les deux accusés. Qui plus est, ils représentent des succès isolés. En fait, le nombre de cas de blasphème continue d’augmenter. Par exemple, rien qu’en août 2020, il y en a eu 42.
Le professeur Khalid Hameed, chef du département d’anglais du Collège gouvernemental Sadiq Egerton de Bahawalpur, a été poignardé à mort par un de ses élèves le 20 mars 2019 au motif qu’il aurait fait des remarques désobligeantes contre l’islam.
En septembre 2019, le directeur de l’école publique du Sindh, dans la ville de Ghotki (province du Sindh), a été arrêté pour des propos prétendument blasphématoires sur le Prophète Mahomet. Des manifestations de rue et une grève ont fait suite à cette affaire. L’école de ce directeur a ensuite subi des dommages, et un temple hindou a été vandalisé.
En décembre 2019, Junaid Hafeez, un professeur d’université de 33 ans, a été condamné à mort pour blasphème. Il avait été arrêté en mars 2013 pour avoir publié des commentaires désobligeants sur le Prophète Mahomet sur les réseaux sociaux.
Lors d’un autre incident, Tahir Ahmad Naseem, un citoyen américain, a été tué le 29 juillet 2020 dans une salle d’audience à Peshawar. Il avait été arrêté pour blasphème en avril 2018 après avoir affirmé être prophète. Une vidéo est devenue virale sur les réseaux sociaux, montrant le tueur présumé dire aux personnes présentes dans la salle d’audience après le meurtre que le Prophète Mohammad lui avait dit de tuer le blasphémateur.
En août 2020, un chef musulman d’Abidabad, Nowshera Virkan, a accusé un chrétien, Sohail Masih, d’avoir insulté l’islam. La police a placé Sohail Masih en garde à vue le 5 août alors qu’il avait été attaqué par une foule. Sa famille a été forcée de fuir.
Les violences et les discriminations à l’encontre de la communauté hindoue pakistanaise se sont également poursuivies. Le 30 juin 2020, Jamia Ashrafia, une école religieuse de premier plan au Pakistan, a publié une fatwa contre la construction du tout premier temple hindou d’Islamabad, puisqu’il s’agirait « d’aider à une mauvaise œuvre ». La Haute Cour d’Islamabad a également adressé un avis à l’Autorité de développement de la capitale, selon lequel le temple faisait partie du plan d’urbanisme de la ville.
Pendant ce temps, le problème des enlèvements de jeunes filles chrétiennes et hindoues s’est aggravé. Assad Iqbal Butt, Président de la Commission des droits de l’homme du Pakistan, a noté que le nombre de victimes avait doublé depuis 2018, pour atteindre 2.000 par an. Les ravisseurs, souvent avec la complicité de policiers et auxiliaires de justice corrompus, affirment que les jeunes filles ont plus de 18 ans et ont voulu se marier de leur propre chef. Les plaidoyers des parents, avec des papiers d’identité montrant l’âge réel des filles, échouent beaucoup trop souvent à arrêter les mariages et conversions forcés.
Début septembre 2020, Parsha Kumari, une jeune hindoue de 14 ans, a été enlevée à Mori, dans le district de Khairpur (province du Sindh), et aurait été convertie et mariée de force à son ravisseur, Abdul Saboor Shah. Un cas similaire a été celui de Jagjit Kau, enlevée sous la menace d’une arme à feu le 27 août 2018 dans la ville de Nankana Sahib. Après des mois de rumeurs, dont des allégations non fondées selon lesquelles elle aurait été rendue à sa famille, Jagjit a été placée dans le refuge pour femmes Darul Aman, à Lahore. Le 12 août 2020, un tribunal a décidé qu’elle devait retourner chez son mari, soi-disant parce qu’elle le voulait.
Les jeunes filles chrétiennes sont victimes de ce genre de crimes. Les cas sont si nombreux que nous ne citerons pour exemple que l’affaire encore en instance concernant Huma Younus, une jeune fille de 15 ans enlevée le 10 octobre 2019 à Karachi par Abdul Jabbar, un musulman qui l’a violée, l’a convertie de force à l’islam, puis l’a forcée à l’épouser. Bien que ses parents aient fourni des documents attestant qu’elle était mineure (ce qui a par la suite été confirmé par un examen médical), le 3 mars 2020 la Haute Cour du Sindh a maintenu le mariage, soutenant qu’elle avait déjà eu ses premières règles et qu’elle pouvait donc contracter un mariage, malgré le fait que la Loi sur les restrictions au mariage des enfants du Sindh interdise le mariage des moins de 18 ans. L’avocat de sa famille a déclaré que Huma avait parlé à ses parents au téléphone, et leur avait dit qu’elle avait été forcée d’avoir des relations sexuelles avec son ravisseur, tombant ainsi enceinte, et qu’elle était confinée dans une pièce de la maison où elle était détenue. Depuis novembre 2020, Huma Younus est toujours captive. Le cas d’Arzoo Raza, une jeune chrétienne de 13 ans, manifeste une implication active de la justice et d’autres instances gouvernementales pour élucider les allégations selon lesquelles ledit mariage serait valide. Arzoo a été enlevée et forcée d’épouser un musulman de 44 ans. En l’espèce, la Haute Cour du Sindh a d’abord considéré le mariage comme valide, acceptant les arguments de son ravisseur. Mais après un examen médical, le même tribunal a conclu qu’elle était mineure et a ordonné qu’elle soit rendue à sa famille. Une nouvelle audience, le 23 novembre 2020, a décidé qu’Arzoo devait rester dans un refuge tenu par le gouvernement jusqu’à l’âge de 18 ans.
Même après leur libération, la vie au Pakistan reste sombre pour les jeunes filles relâchées. Le cas de Maira Shahbaz montre à quel point c’est difficile. La jeune catholique de 14 ans a été enlevée dans la ville de Madina, près de Faisalabad, le 28 avril 2020. Le 4 août, la Haute Cour de Lahore a jugé que son mariage était valide, mais deux semaines plus tard, elle a échappé à son ravisseur. Maira et sa famille se sont cachées après avoir reçu des menaces de mort répétées.
Pour le Cardinal pakistanais Joseph Coutts, « la question des enlèvements, des conversions forcées et des mariages forcés devrait être traitée sur la base des droits fondamentaux de l’homme, plutôt que d’être transformée en une question religieuse ». Plaidant en faveur du respect des droits des minorités, il a expliqué qu’il était « de la responsabilité de l’État d’assurer la protection et la justice à chaque citoyen, sans distinction de croyance, de culture, d’ethnicité ou de classe sociale ».
Malheureusement, ces droits ne sont toujours pas garantis au Pakistan, ainsi que cela est devenu évident lors de la première flambée de Covid-19. Alors que le virus – surnommé par certains le « virus chiite » – se propageait, de nombreux rapports ont fait état du refus d’accorder une aide alimentaire ou des équipements de protection aux hindous et aux chrétiens. Dans le district de Korangi (division de Karachi), des chrétiens locaux auraient été forcés de réciter le « Kalima », la déclaration de foi islamique, afin de recevoir des rations. Comme ils ont refusé, on leur a même refusé le strict nécessaire. En revanche, l’Église catholique a distribué de la nourriture et d’autres produits de première nécessité à toutes les personnes dans le besoin, indépendamment de leur appartenance religieuse.
En ce qui concerne les mesures liées au Covid-19, alors que les églises et les temples du Pendjab et du Sindh ont été volontairement fermés par leurs chefs religieux respectifs suite à l’augmentation des infections, les mosquées sont restées ouvertes. Le gouvernement, craignant une réaction, a choisi de ne pas intervenir.
Malgré la promesse électorale du Premier ministre Imran Khan d’un « Naya Pakistan », un nouveau Pakistan, où « les droits civils, sociaux et religieux des minorités » sont garantis, le chemin vers une telle réalité est encore très long et plein d’obstacles. Sa vision de la construction d’un « État de Médine » moderne, semblable au modèle établi par le prophète Mohammed il y a 14 siècles, contribue à la radicalisation d’un système politique déjà fortement imprégné par l’islamisme.
Comme l’indique la longue mais non exhaustive liste d’incidents susmentionnée, la religion dans ce pays asiatique reste une source de discrimination et de déni des droits. Il n’est donc pas surprenant qu’en 2018, le département d’État américain ait désigné le Pakistan comme pays particulièrement préoccupant.
La discrimination, le blasphème, les enlèvements et conversions forcés de femmes et de jeunes filles hantent encore la vie quotidienne des minorités religieuses. L’utilisation persistante de manuels et programmes scolaires à contenu sectaire contre les chiites et les membres des minorités laisse peu d’espoir pour l’avenir.
À tout cela s’ajoute la prolifération des groupes terroristes islamistes, souvent auteurs d’attaques contre les chiites et les minorités religieuses. Tehrik-e-Taliban Pakistan et ses groupes associés constituent la plus grande menace pour la sécurité intérieure du pays, tandis que la province du Khorasan de l’État islamique réussit particulièrement à exploiter les fragilités et les failles confessionnelles du Pakistan. En mai 2019, l’État Islamique a annoncé la création d’un « Wilayat Pakistan » (province pakistanaise) après avoir revendiqué de multiples attaques dans la province du Baloutchistan.
La proximité du Pakistan avec l’Afghanistan, sa participation étroite aux pourparlers entre les États-Unis et les talibans et au dialogue intra-afghan, ainsi qu’aux élections présidentielles afghanes auront certainement une incidence sur la sécurité intérieure du Pakistan. Celle-ci aura à son tour un impact sur les perspectives déjà sombres pour la liberté religieuse dans le pays.