La première chose que les gens ont faite lorsque les bombardements ont commencé a été de prier.
Caritas a deux branches indépendantes en Ukraine : Caritas Spes, gérée par la petite Eglise catholique romaine, et Caritas Ukraine, gérée par la grande Eglise gréco-catholique ukrainienne. Bien qu’étant des entités distinctes, les deux collaborent sur le terrain.
Le père Viaczeslaw Grynevytsch est un père pallotin et le président de Caritas Spes. Il s’est entretenu avec Aid to the Church in Need (ACN) de son travail et de la situation dans le pays après presque deux semaines de guerre. L’interview a été réalisée par Filipe d’Avillez.
Où êtes-vous en ce moment ?
Il y a quelques jours, j’étais à Kiev, mais nous avons ensuite décidé de déménager dans un autre endroit, plus sûr, où notre équipe peut être réunie, et maintenant nous sommes proches de la région d’Ivano-Frankivsk, à l’ouest. Nous allons travailler à partir d’ici.
Comment était la vie à Kiev quand vous êtes partis ?
La situation était très compliquée, et c’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons décidé de déménager. Ce n’était pas principalement à cause du danger des bombes. Le plus difficile était de penser à ce qui pourrait arriver si nous avions des coupures de communication, d’internet ou d’électricité, car nous avions déjà eu quelques problèmes avec la connexion internet. Nous avons également eu des problèmes de pénurie de nourriture dans les supermarchés.
À Kiev, nous nous occupions de 27 enfants et mères, mais nous les avons tous transférés à la frontière polonaise. Finalement, nous n’étions plus que quatre. Lorsque j’ai compris que ma présence à Kiev n’était plus nécessaire, je suis parti en voiture pour aller chercher ma mère à Zhytomyr. Normalement, il aurait fallu environ deux heures depuis Kiev, mais en empruntant des routes secondaires à travers les petites villes, cela m’a pris environ neuf heures. Il y avait de nombreux barrages routiers et des soldats. Finalement, j’ai réussi à la récupérer et le lendemain, nous sommes partis, avec un membre de notre personnel, ainsi qu’une mère et ses deux enfants, et nous nous sommes installés à Ivano-Frankivsk.
Est-il encore possible d’acheminer l’aide d’urgence dans la capitale ?
Le système ferroviaire fonctionne toujours bien. Nous pouvons évacuer les gens en train et leur apporter un soutien à Lviv, et nous pouvons également fournir une aide à Kiev. Nous avons quelques entrepôts à Kiev que nous utilisons, et nos volontaires distribuent des denrées alimentaires à la population.
Pour les personnes réunies en grand groupe, nous pouvons simplement utiliser notre bus et leur livrer de la nourriture, mais cela est plus compliqué lorsque les individus sont dispersés, et c’est le cas de certaines personnes qui sont restées chez elles. Il n’y a que deux ponts ouverts entre les côtés gauche et droit de Kiev, et les files d’attente pour transférer les gens prennent trois ou quatre heures. C’est un problème de logistique. Mais nous essayons d’organiser un système suivant lequel un jour nous distribuons d’un côté de la ville, et le lendemain de l’autre. Nous devons être très flexibles, car la situation change chaque jour.
Avant, nous étions d’avantage concentrés sur l’aide humanitaire, comme la distribution de nourriture, de médicaments, d’articles d’hygiène, mais maintenant je vois que nous devons nous concentrer sur l’évacuation. En effet, nous recevons des appels de personnes dans les gares, le métro, les abris ou ailleurs, et nous essayons de leur apporter un soutien logistique, de voir où nous pouvons les évacuer.
Qu’en est-il des zones de l’Ukraine qui sont déjà occupées par les troupes russes ? Y avez-vous accès ?
Nous attendons qu’ils ouvrent le corridor humanitaire pour soutenir la population de Marioupol, et nous sommes en communication avec la Croix-Rouge, mais nous ne pouvons pas garantir la question de la sécurité, qui est un problème pour nous. Le système bancaire fonctionne toujours, donc pour le moment nous essayons de collaborer avec les unités locales de Caritas Spes, en réalisant des transferts d’argent, afin qu’ils puissent acheter des choses, comme de la nourriture, des couches et des médicaments. Nous allons essayer de les soutenir au moyen d’une aide humanitaire, mais pour l’instant cela reste difficile.
Nous avons vu de nombreuses images de familles séparées, les femmes et les enfants étant évacués et les hommes restant sur place pour combattre. Les hommes qui sont restés en Ukraine reçoivent-ils une aide psychologique quelconque ? Et ceux qui partent ?
C’est vraiment très important, mais à l’heure actuelle nous ne sommes pas prêts pour cela. Pour l’instant, nous devons évacuer les gens, leur fournir de la nourriture, la sécurité, des médicaments, et les protéger à la frontière, car de nombreux habitants invitent les femmes chez eux, mais nous devons être sûrs à 100 % de leur sécurité et tenir compte du fait que certains pourraient avoir d’autres intentions. La prochaine étape sera l’aide psychologique.
Nous avons vu de nombreux cas de prêtres et de religieuses restés sur place pour aider les gens. Quelle est l’importance du soutien spirituel dans un moment comme celui-ci ?
Il sert aussi de soutien psychologique. Lorsque nous étions à Kiev, avec ce groupe de 27 personnes, j’ai pu constater que la prière est très importante pour elles. Lorsque les bombardements ont commencé, les gens se sont rendus dans l’abri anti-bombes et la première chose qu’ils ont faite a été de prier ensemble. C’était la seule forme de soutien qu’ils avaient. En étant avec eux, en tant que prêtres, nous avons essayé de parler de Dieu, de la spiritualité, et nous avons ouvert notre église.
C’est aussi une forme d’enrichissement œcuménique, parce que l’Église catholique romaine en Ukraine ne représente que 1% de la population, mais nous avons accueilli des gens dans notre maison, sans aucune considération de leur confession. Dans ce centre où nous sommes maintenant, il y a environ 300 femmes et enfants, et certains d’entre eux sont protestants, mais ils ont demandé s’ils pouvaient participer à la Sainte Messe. En tant que prêtre, j’ai dit : pas de problème, nous sommes ouverts. Pour moi, il est important que je puisse servir en tant que prêtre, et c’est mon devoir de me mettre à leur service, c’est la vocation que Dieu m’a donnée.