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Comment un évêque est devenu un pont entre les chrétiens et les musulmans au Nigeria

Lorsqu’il s’est converti au christianisme à l’âge de douze ans, le père de Gerald Musa était loin d’imaginer que son fils deviendrait le premier évêque de son influente ethnie, les Haoussas.

Bien que ce terme soit utilisé principalement pour désigner le pape, les évêques de l’Église catholique sont traditionnellement appelés « pontifex », ce qui signifie « bâtisseur de ponts » en latin. Ce titre s’applique particulièrement à Mgr Gerald Mamman Musa, évêque de Katsina, dans le nord du Nigeria.

Mgr Gerald Mamman Musa, le premier Nigérian de langue haoussa à être nommé évêque au Nigéria, lors d'une visite au siège de l'AED en Allemagne, en mai 2024
Mgr Gerald Mamman Musa, le premier Nigérian de langue haoussa à être nommé évêque au Nigéria, lors d’une visite au siège de l’AED en Allemagne, en mai 2024

En 2023, Gerald Musa a été le premier Haoussa à être consacré évêque. Ce fait est d’autant plus remarquable que la grande majorité des Haoussas sont musulmans, tout comme d’ailleurs la grande majorité des membres de sa famille. En fait, du côté paternel, Mgr Musa n’appartient qu’à la seconde génération de chrétiens.

Son père s’est converti au christianisme à l’âge de douze ans, mais il a fallu la persévérance d’un adulte pour qu’il reste chrétien, explique l’évêque. « La Société des missionnaires d’Afrique a édifié une école que mon père a eu le privilège de fréquenter, mais les activités missionnaires n’y ont pas perduré. L’école a fermé, la mission également. Ensuite, un bon nombre de personnes qui s’étaient converties au christianisme sont revenues à l’islam. Pour autant que je sache, mon père est le seul à être resté chrétien. »

Plus tard, il est devenu enseignant, puis directeur d’établissement scolaire. Pendant plus de quarante ans, il a aussi assuré la formation de catéchistes et contribué à traduire en haoussa la Bible et d’autres ouvrages religieux. Pourquoi est-il resté chrétien alors que tous ses amis sont redevenus musulmans ?

« Mon père a dit qu’il percevait quelque chose de différent dans le christianisme » se souvient le prélat « L’amour que lui ont témoigné les missionnaires, l’amour qu’il a ressenti de leur part, et ensuite l’éducation dont il a bénéficié, ont complètement changé sa vie. Même si d’autres sont retournés à l’Islam, lui l’a refusé, parce qu’il a trouvé dans le christianisme l’amour et la joie. Son amour pour l’Eucharistie était une chose remarquable chez lui : il affirmait que quarante ans durant, il n’avait pratiquement pas manqué la messe, ne serait-ce qu’un seul jour. Il chérissait l’Eucharistie et vivait une foi très profonde. Non seulement il embrassait la foi, mais il en étudiait le contenu pour voir ce qui la différenciait des autres, qu’il s’agisse des religions traditionnelles ou de l’islam.  Pour lui, la différence était évidente et il a donc embrassé le christianisme de tout son cœur. »

Mgr Gerald Mamman Musa, évêque de Katsina, après son ordination solennelle
Mgr Gerald Mamman Musa, évêque de Katsina, après son ordination solennelle

Ces dernières années, la vie est devenue difficile pour les chrétiens dans le nord du Nigeria, caractérisé par un accroissement des persécutions et l’apparition de nouvelles formes d’islam radical. Dans ces circonstances, les familles se détournent parfois de leurs proches qui professent une autre foi. C’est donc avec une certaine hésitation que Gerald Musa a annoncé sa nomination comme évêque à sa famille élargie. La réaction de sa famille l’a toutefois surpris.

« Je leur ai annoncé mon ordination épiscopale et ils sont tous venus, de différentes villes, pour y assister. Ils ont rempli deux bus ! Je pensais qu’à cause de la différence de religion, ils ne viendraient pas, mais ils sont venus en grand nombre et ils étaient heureux. Leurs visages reflétaient le bonheur, et c’était la grâce de Dieu », affirme Mgr Musa.

« Non seulement mes proches sont venus, mais mes camarades de classe de l’école primaire, musulmans à 95% – en effet, nous sommes restés en contact -, ont aussi délégué cinq personnes de cette classe pour les représenter lors de mon ordination, et vous pouviez voir leur bonheur et leur joie. Ils ont aussi considéré l’ordination épiscopale comme quelque chose de spécial, je ne sais pas exactement ce qu’ils y ont vu, mais ils étaient heureux. C’était vraiment extraordinaire pour moi. Ils étaient sincèrement heureux pour moi ».

Même si ces expériences n’incarnent pas la forme d’un débat théologique approfondi, elles constituent néanmoins une forme de dialogue interreligieux, explique l’évêque. « Il existe quatre formes de dialogue : le dialogue de la vie, le dialogue théologique, le dialogue spirituel et le dialogue social. Dans le diocèse de Katsina, je dirais que c’est le dialogue social de la vie quotidienne qui est le plus fréquent. Les musulmans ont des chrétiens pour voisins et coexistent avec eux de manière pacifique. Ensuite, il y a l’interaction. Par exemple, chaque fois que nous célébrons les fêtes de Noël, les musulmans nous apportent de la nourriture pour nous aider, pour partager notre joie, et lorsque nous avons préparé des repas et cuisiné de la viande à Noël, nous les partageons avec nos voisins musulmans. De même, lorsqu’ils célèbrent la fête de la rupture du jeûne (Aïd al-Fitr) et la fête du sacrifice (Aïd al-Kebir), nous partageons également des choses avec eux, en signe de bonne volonté à leur égard. Les célébrations, les cérémonies, les mariages, toutes ces choses comme mon ordination, c’est un dialogue sur la vie et  les activités quotidiennes».

Mgr Gerald Mamman Musa, évêque de Katsina, accueillant les invités à l'aéroport
Mgr Gerald Mamman Musa, évêque de Katsina, accueillant les invités à l’aéroport

L’expérience personnelle de Mgr Gerald Mamman Musa en tant que pont entre les religions ne l’empêche pas de reconnaître qu’il existe des difficultés. Parmi celles-ci, le fait que son diocèse soit situé dans l’État de Katsina qui, il y a quelques années, a officiellement adopté la charia islamique. L’évêque souligne que « notre éthique personnelle, notre morale et notre spiritualité sont profondément enracinées dans nos différentes religions. Le Nigeria étant une nation diversifiée, il se compose majoritairement de chrétiens, de musulmans et de pratiquants de religions traditionnelles ou animistes. L’ancienne distinction entre un nord musulman et un sud chrétien s’estompe aujourd’hui en raison de la propagation du christianisme dans le nord et de la présence de nombreux musulmans dans le sud ». Il met l’accent sur la nécessité d’un système juridique unifié qui « intègre nos valeurs culturelles et religieuses en faveur de l’unité nationale. Même si le Nigeria dispose de bonnes lois, le défi réside dans leur application. Ni la charia ni le droit canon ne peuvent être efficaces si les citoyens ne respectent pas les lois civiles. La prévalence de la corruption et des inégalités découle de l’absence d’État de droit, permettant aux individus de commettre des crimes graves sans subir de conséquences ».

Selon lui, les gens sont de plus en plus attirés par les pays où l’État de droit est respecté. À l’heure actuelle, dans de nombreuses régions du monde, la religion est devenue davantage une manifestation extérieure qu’un moyen d’influencer la vie quotidienne de manière significative, a déclaré l’évêque. « Jésus a reproché aux Pharisiens de se concentrer sur des rituels religieux mineurs tout en ignorant les aspects essentiels de la foi et de la moralité [St Mathieu 23:23]. De même, au Nigeria, on a tendance à négliger les éléments cruciaux de la loi au profit de pratiques religieuses superficielles. Malgré les activités religieuses des chrétiens, des musulmans et des adeptes des religions traditionnelles, la corruption et les inégalités persistent parce que certains individus se considèrent au-dessus des lois ». L’évêque a conclu en soulignant la nécessité de mettre en place un cadre juridique commun qui favorise l’intérêt général, la justice, l’amour, la coexistence pacifique, l’intégrité, l’honnêteté, la dignité humaine et le respect mutuel, affirmant que la paix ne peut pas exister sans justice.

 

Par Filipe d’Avillez.

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